Les syndicats professionnels disposent de plusieurs actions civiles, et notamment les syndicats de salariés qui peuvent avoir recours par exemple à l’action de substitution quand elle est prévue par la règlementation sociale. Tous peuvent en revanche agir en Justice, au-delà de l’action dans leur intérêt propre, dans l’intérêt collectif de la profession représentée.

Cette action dans l’intérêt collectif est une attribution générale, qui peut être exercée dès lors que le syndicat a intérêt à agir, c’est-à-dire dès qu’il est établi qu’une atteinte est portée (même indirectement) par l’acte dommageable à l’intérêt collectif défendu par le syndicat. Le préjudice étant moral, sa démonstration est simplifiée.

L’arrêt ci-dessous reproduit illustre l’efficacité de cette action civile, largement accueillie par la jurisprudence. Ainsi un syndicat salarié est-il recevable à se constituer partie civile dans le cadre de poursuites pour association de malfaiteurs, dans le cas où l’on a préparé le meurtre d’un salarié parce qu’il envisageait d’ouvrir une section syndicale dans l’entreprise.

COUR DE CASSATION, Chambre criminelle, 6 décembre 2023 (pourvoi n° 22-82.176, publié au Bulletin)


L’union départementale [1], partie civile, a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, 1re section, en date du 16 mars 2022, qui, dans l’information suivie, notamment, contre Mme [B] [X], épouse [P], et M. [D] [P], du chef d’association de malfaiteurs, a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction déclarant irrecevable sa constitution de partie civile.
(…)

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mme [B] [X] et M. [D] [P] ont été mis en examen du chef d’association de malfaiteurs en vue du meurtre en bande organisée de M. [M] [F], salarié de la société dirigée par Mme [X].

3. Soutenant que M. [F] avait été visé en qualité de syndicaliste, membre de l’un des syndicats lui étant affilié, dans le but d’empêcher l’implantation de syndicats dans l’entreprise, l’union départementale [1] (la [1]) s’est constituée partie civile à titre incident.

4. Par ordonnance du 6 septembre 2021, le juge d’instruction a déclaré cette constitution de partie civile irrecevable.

5. La [1] a relevé appel de cette décision.
(…)

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la [1], alors :

« 1°/ que, d’une part, le délit d’association de malfaiteurs, lorsqu’il a pour objet ou pour effet de faire échec à l’exercice de la liberté syndicale au sein d’une profession, quelle que soit l’infraction précisément projetée par les membres de ce groupement, est susceptible de causer un préjudice direct à l’intérêt collectif de cette profession, rendant recevable le syndicat qui la représente à se constituer partie civile ; qu’en l’espèce, en jugeant que « les faits d’atteinte à l’intégrité physique de [M] [F], objet de l’association de malfaiteurs dont se trouve saisi le magistrat instructeur, à les supposer établis, ne sauraient causer avec un lien de causalité direct, ni indirect, un préjudice quelconque l’UNION DEPARTEMENTALE DE LA [1] » (arrêt, pp. 10-11), sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’association de malfaiteurs n’avait pas en elle-même causé un préjudice direct à l’intérêt collectif de la profession représentée par ce syndicat dès lors que le groupement en cause avait eu pour objet et pour effet de faire échec à l’exercice de la liberté syndical au sein de cette profession, la chambre de l’instruction a méconnu les articles 2 et 3 du code pénal, 85 et 87 du code de procédure pénale, L. 2132-3 du code du travail, ensemble l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme ;


2°/ que, d’autre part, et en tout état de cause, en se déterminant ainsi lorsqu’une telle association de malfaiteurs était susceptible de causer, à tout le moins, un préjudice indirect aux intérêts collectifs de la profession représentée par l’Union Départementale de la [1], la chambre de l’instruction a encore méconnu ces textes ;

3°/ qu’en outre, en retenant que M. [F] n’avait pas exercé de mandat syndical et qu’il n’était pas rapportée la preuve de son affiliation à la [1] (arrêt, p. 10), circonstances impropres à écarter l’existence d’un préjudice causé à l’intérêt collectif de cette profession, la chambre de l’instruction, qui s’est prononcée par des motifs inopérants, n’a pas justifié sa décision au regard des articles 2 et 3 du code pénal, 85, 87 et 593 du code de procédure pénale, L. 2132-3 du code du travail, ensemble l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

4°/ qu’enfin, et en tout état de cause, en énonçant que la preuve de l’affiliation de [M] [F] à la [1] n’était pas rapportée (arrêt, p. 10), cependant qu’elle retenait que M. [F] avait lui-même indiqué être syndiqué à la [1] (ibid.), la chambre de l’instruction s’est contredite en violation de l’article 593 du code de procédure pénale. »
(…)

Réponse de la Cour

Vu les articles 87 du code de procédure pénale, L. 2132-3 et L. 2133-3 du code du travail :

7. Il résulte de ces textes que, pour que la constitution de partie civile d’un syndicat ou d’une union de syndicats soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué, porté à l’intérêt collectif d’une profession représentée, et la relation directe ou indirecte de celui-ci avec une infraction à la loi pénale.

8. Pour confirmer l’ordonnance du juge d’instruction, l’arrêt attaqué énonce que M. [F] n’a jamais exercé de mandat syndical et que la preuve de son affiliation à la [1] n’est pas rapportée.

9. Les juges retiennent que l’atteinte à son intégrité physique, objet de l’association de malfaiteurs dont est saisi le juge d’instruction, ne saurait causer un quelconque préjudice, direct ou indirect, à la [1].

10. Ils ajoutent qu’il n’apparaît pas que l’un des éléments constitutifs du délit d’association de malfaiteurs ait pu porter atteinte à la liberté syndicale ni que cette liberté relève de la valeur sociale protégée par l’infraction objet de cette association de malfaiteurs.

11. En statuant ainsi, après avoir relevé que plusieurs des personnes mises en examen ont affirmé avoir participé à la préparation du meurtre d’un salarié, dont Mme [X] redoutait qu’il n’introduisît un syndicat dans l’entreprise qu’elle dirigeait, la chambre de l’instruction, qui n’a pas tiré les conséquences des circonstances dont elle avait constaté l’existence, susceptibles de compromettre le libre exercice de la liberté syndicale, constitutionnellement garantie, et, par suite, de porter atteinte à l’intérêt collectif de la profession représentée par un syndicat ou une union de syndicats, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.

12. La cassation est par conséquent encourue.
(…)

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE et ANNULE (…)