Un accord collectif signé par les partenaires sociaux majoritaires, peut tout de même faire l’objet d’un recours en nullité dans les deux mois à compter des dernières mesures de publicité exigées par la Loi. Ce recours peut être exercé notamment par une organisation syndicale non-signataire, qui estime qu’une disposition conventionnelle est contraire à un texte d’ordre public s’imposant au niveau de l’accord contesté.

L’avenant du 16 juin 2016 régissant depuis quatre ans la durée et l’aménagement du temps de travail dans les entreprises du transport sanitaire, a fait l’objet d’un tel recours : celui-ci vient de connaître une issue remarquable, à l’occasion de l’arrêt de la Cour de cassation reproduit ci-dessous. La Chambre sociale annule en effet deux dispositions qui constituent dans ce secteur des mécanismes largement utilisés pour la gestion des ressources humaines, comme des transports (les partenaires sociaux ont demandé une réforme législative permettant de réinstaurer ces outils).

En premier lieu il est désormais impossible pour l’employeur de ne pas assurer lui-même le nettoyage et la désinfection des tenues de travail des ambulanciers, en contrepartie d’une indemnité versée aux intéressés. En second lieu il n’est plus possible de décompter et contrôler leur temps de travail par un autre moyen (même loyal et contradictoire…) que la feuille de route précisément décrite par l’article R.3312-33 du Code des transports et l’arrêté du 19 décembre 2001.


Cour de cassation, Chambre sociale, 23 septembre 2020 (pourvoi n° 18-23.474), publié au Bulletin

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 5 juillet 2018), les organisations syndicales et patronales du secteur du transport sanitaire ont conclu, le 4 mai 2000, un accord-cadre sur l’aménagement et la réduction du temps de travail des personnels de leurs entreprises, qui a par la suite été étendu par arrêté du 30 juillet 2001.

2. Un avenant à cet accord-cadre, relatif à la durée et à l’organisation du travail dans les activités du transport sanitaire a été conclu le 16 juin 2016 entre les organisations patronales, la Fédération nationale des transporteurs sanitaires, la Fédération nationale des artisans ambulanciers, l’Organisation des transports routiers européens ainsi que la Chambre nationale des services d’ambulances, d’une part, et les organisations syndicales représentatives de salariés, la Fédération générale des transports et de l’équipement CFDT, la Fédération générale CFTC des transports et le Syndicat national des activités du transport et du transit, d’autre part.

3. La Fédération nationale des transports et de la logistique Force ouvrière–UNCP, qui avait participé aux négociations sans être signataire de l’accord, a saisi un tribunal de grande instance d’une demande d’annulation de l’article 6 de cet accord, dont le dernier paragraphe était relatif à l’entretien de la tenue professionnelle, et de l’article 10 relatif aux modalités de décompte du temps de travail des personnels ambulanciers.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Les organisations patronales et la Chambre nationale des services d’ambulances font grief à l’arrêt de confirmer le jugement en ce qu’il annule le dernier paragraphe de l’article 6 de l’accord du 16 juin 2016 relatif à la durée et à l’organisation du travail dans les activités de transport sanitaire s’inscrivant dans le cadre de leur nouveau modèle social et portant avenant à l’accord-cadre du 4 mai 2000 sur l’aménagement et la réduction du temps de travail des personnels des entreprises de transport sanitaire, alors :

« 1°/ que l’accord du 16 juin 2016 relatif à la durée à l’organisation dans les activités du transport sanitaire comprend un article 6 relatif aux temps d’habillage et déshabillage qui, après en avoir établi les contreparties financières, se borne à rappeler, d’une part, qu’ « en application des dispositions de l’article 22 bis de la CCNA1 de la CCNTR il appartient à l’employeur d’assurer l’entretien de la tenue professionnelle des personnels ambulanciers. », d’autre part, que  » lorsqu’il n’assure pas directement cet entretien, l’employeur doit allouer une indemnité dite d’entretien qui vient compenser les frais professionnels d’entretien exposés par le personnel ambulancier. Le montant de cette indemnité est fixé dans l’entreprise. » ; que ce texte, tout en réitérant l’obligation pour l’employeur d’assurer l’entretien des tenues professionnelles, a donc pour seul objet de prévoir une compensation financière au profit du salarié dans l’hypothèse où il aurait effectivement assuré cet entretien ; qu’en affirmant que ce texte était contraire à l’obligation de sécurité de l’employeur en tant qu’il autorisait l’employeur à se décharger de son obligation d’entretien, la cour d’appel l’a violé l’article 6 précité par fausse application.

2°/ que n’est pas illicite comme susceptible de mettre en danger la sécurité des salariés la stipulation d’un accord collectif qui ne méconnaît aucune des dispositions légales et réglementaires qui déterminent de façon exhaustive les mesures que doit prendre l’employeur pour assurer la prévention des risques professionnels ; qu’en l’espèce, les exposantes faisaient valoir que la sécurité des salariés n’était nullement assurée par la tenue professionnelle, dont il est exclusivement question dans l’article 6 de l’accord du 16 juin 2016, mais par fourniture d’un équipement obligatoire correspondant aux dispositions d’un arrêté du 10 février 2009 fixant les conditions exigées pour les véhicules et les installations matérielles affectés aux transports sanitaires terrestres (tel que modifié par un arrêté du 28 août 2009) ; qu’en affirmant que l’éventuel transfert de la charge de l’entretien de la tenue professionnelle du salarié était contraire à l’obligation de sécurité de l’employeur, lorsque le dernier paragraphe de l’article 6 de l’accord du 16 juin 2016, qui se bornait à prévoir la compensation financière au profit du salarié d’une éventuelle charge d’entretien de sa tenue professionnelle, n’avait ni pour objet ni pour effet de dispenser l’employeur de fournir l’équipement spécialement destiné à assurer la prévention des risques professionnels dans le secteur en cause, la cour d’appel a violé les articles L. 4121-1 et R. 4422-1 du code du travail, ensemble l’arrêté du 10 février 2009 fixant les conditions exigées pour les véhicules et les installations matérielles affectés aux transports sanitaires terrestres, modifié par un arrêté du 28 août 2009, et l’article 6 de l’accord du 16 juin 2016 relatif à la durée et à l’organisation du travail dans les activités du transport sanitaire. »

Réponse de la Cour

5. L’article L. 2251-1 du code du travail dispose qu’une convention ou un accord collectif de travail ne peut déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d’ordre public.

6. Aux termes de l’article R.4422-1 du code du travail l’employeur prend des mesures de prévention visant à supprimer ou à réduire au minimum les risques résultant de l’exposition aux agents biologiques, conformément aux principes de prévention énoncés à l’article L. 4121-2 du même code.

7. Selon l’article R. 4424-5 du code du travail, pour les activités qui impliquent des agents biologiques pathogènes, l’employeur doit notamment fournir aux travailleurs des moyens de protection individuelle, notamment des vêtements de protection appropriés, veiller à ce que les moyens de protection individuelle soient enlevés lorsque le travailleur quitte le lieu de travail et faire en sorte, lorsqu’ils sont réutilisables, que les moyens de protection individuelle soient rangés dans un endroit spécifique, nettoyés, désinfectés et vérifiés avant et après chaque utilisation et, s’il y a lieu, réparés ou remplacés.

8. Ayant relevé qu’il ne pouvait être exclu que des agents biologiques pathogènes vinssent contaminer les tenues de travail des ambulanciers, la cour d’appel en a exactement déduit que les dispositions du dernier alinéa de l’article 6 de l’accord du 16 juin 2016 qui autorisaient l’employeur, dans le domaine du transport sanitaire, à ne pas assurer directement l’entretien de la tenue de travail des ambulanciers en leur allouant une indemnité, étaient contraires aux dispositions des articles L. 4121-1, L. 4121-2 et R. 4422-1 du code du travail qui font obligation à l’employeur de prendre les mesures de prévention nécessaires pour supprimer ou réduire les risques professionnels résultant de l’exposition aux agents biologiques, et à ce titre, d’assurer lui-même l’entretien et le nettoyage des tenues professionnelles.

9. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. Les organisations patronales et la Chambre nationale des services d’ambulances font grief à l’arrêt de confirmer le jugement en ce qu’il annule l’article 10 de l’accord du 16 juin 2016 relatif à la durée et à l’organisation du travail dans les activités de transport sanitaire s’inscrivant dans le cadre de leur nouveau modèle social et portant avenant à l’accord-cadre du 4 mai 2000 sur l’aménagement et la réduction du temps de travail des personnels des entreprises de transport sanitaire, alors :

« 1°/ que la conformité des conventions et accords collectifs de travail à l’ordre public s’apprécie à la date de leur entrée en vigueur ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé que les dispositions de l’accord du 16 juin 2016 relatif à la durée et à l’organisation du travail dans les activités du transport sanitaire entreraient en application le 1er jour du mois civil suivant la parution de son arrêté d’extension au journal officiel, sans que cette date ne puisse revêtir un caractère obligatoire avant le 3 avril 2017, les parties ayant par ailleurs demandé au ministre une évolution de la réglementation applicable ; que l’arrêté d’extension n’étant toujours pas paru au jour où la cour d’appel statuait, cet accord n’était toujours pas entré en vigueur à cette date ; qu’en déclarant néanmoins les dispositions de l’article 10 de cet accord contraires à l’article R. 3312-33 du code des transports en vigueur lors de la conclusion de l’accord du 10 juin 2016, lorsque ce dernier n’était toujours pas entré en vigueur à la date à laquelle elle statuait, la cour d’appel a violé l’article R. 3312-33 du code des transports, l’arrêté du 19 décembre 2001 concernant l’horaire de service dans le transport sanitaire et l’article 6 (en réalité 10) de l’accord du 16 juin 2016 ;

2°/ que l’article R. 3312-33 du code des transports dispose que la durée hebdomadaire de service des personnels ambulanciers roulants des entreprises de transport sanitaire est décomptée au moyen de feuilles de route hebdomadaires ; que l’article 1er de l’arrêté du 19 décembre 2001 concernant l’horaire de service dans le transport sanitaire précise dans le même sens que les durées de service des personnels ambulanciers roulants des entreprises de transport sanitaire sont décomptées au moyen de feuille de route hebdomadaires individuelles ; que l’article 10 de l’accord du 16 juin 2016 concerne en revanche le décompte des heures de prise de service et de fin de service, ainsi que les heures de pause ou coupure, toutes informations se rapportant exclusivement au décompte journalier du temps de travail ; qu’il en résulte que l’accord du 16 juin 2016 ne régit nullement les modes de décompte du temps de travail hebdomadaire ; qu’en affirmant néanmoins que cette disposition qui se rapportait au temps de travail quotidien était contraire aux dispositions réglementaires précitées relatives au décompte hebdomadaire du temps de travail, la cour d’appel a violé l’ensemble de ces dispositions, ensemble l’article 10 de l’accord du 16 juin 2016 ;

3°/ que l’article 10 de l’accord du 16 juin 2016 prévoit que les moyens d’enregistrement doivent permettre le contrôle et le décompte des informations suivantes : heure de prise de service ; heure de fin de service ; heures de pause ou coupure (heure de début et de fin pour chaque pause ou coupure) ; lieu des pauses ou coupures (entreprise, extérieur, domicile) ; qu’il précise également que lorsque les temps de travail sont enregistrés par un moyen autre que la feuille de route, ces temps doivent être validés contradictoirement ; que l’exigence d’une validation contradictoire permet donc au salarié de s’assurer que l’ensemble des informations requises lui assureront des garanties au moins équivalentes à celle résultant de l’établissement d’une feuille de route telle que définie par l’annexe à l’arrêté du 19 décembre 2001 relatif à l’horaire de service dans le transport sanitaire ; qu’en retenant que l’article 10 de l’accord du 16 juin 2016 n’était pas conforme aux exigences de l’article R. 3312-33 du code des transports et de l’arrêté du 19 décembre 2001, la cour d’appel a violé l’ensemble de ces textes.  »

Réponse de la Cour :

11. Le juge saisi d’un recours en nullité contre les conventions ou accords collectifs apprécie leur conformité au regard des dispositions légales et réglementaires en vigueur lors de la conclusion de ces conventions ou accords collectifs.

12. Selon l’article R. 3312-33 du code des transports, la durée hebdomadaire de service des personnels ambulanciers roulants des entreprises de transport sanitaire est décomptée au moyen de feuilles de route hebdomadaires.

13. L’article 1er de l’arrêté du 19 décembre 2001 concernant l’horaire de service dans le transport sanitaire dispose, dans le même sens, que les durées de service des personnels ambulanciers roulants des entreprises de transport sanitaire sont décomptées au moyen de feuilles de route hebdomadaires individuelles qui précisent les horaires de début et de fin de service, l’amplitude journalière de travail en heures, les lieux et horaires de prise de repas, l’exécution de tâches complémentaires et d’activités annexes, l’heure de prise de service le lendemain et le véhicule attribué pour la première mission du lendemain avec une partie réservée aux observations et aux signatures.

14. Ayant relevé, par motifs propres et adoptés, d’une part, que les moyens d’enregistrement permettant le contrôle de la durée du travail envisagés par l’article 10 ne reprenaient pas toutes les informations contenues dans la feuille de route rendue obligatoire par l’article 1er de l’arrêté du 19 décembre 2001, et d’autre part, que la procédure de validation contradictoire des temps de travail lorsqu’ils étaient enregistrés par un autre moyen que la feuille de route ne permettait pas de vérifier que les modalités choisies offriraient autant de garanties que la feuille de route, la définition d’un modèle unique de feuille de route applicable à l’ensemble des salariés du secteur évitant pour les intéressés toute incertitude sur les modalités de décompte de leurs temps de travail, la cour d’appel en a exactement déduit que ces dispositions qui autorisaient le décompte du temps de travail par un document autre que la feuille de route obligatoire étaient illicites, peu important que les partenaires sociaux eussent prévu que les dispositions de l’accord litigieux entreraient en application le premier jour du mois civil suivant la parution de l’arrêté d’extension au journal officiel et demandé par ailleurs au ministre une évolution de la réglementation applicable.

15. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour : REJETTE le pourvoi (…)