Sur l’impulsion de la jurisprudence communautaire, la Cour de cassation opère un revirement quant aux conséquences de la nullité d’un licenciement, selon l’arrêt principalement reproduit ci-dessous. On doit en effet distinguer l’indemnisation d’un licenciement abusif (pour défaut de motif réel et sérieux, irrégularité de la procédure, manquement aux critères de licenciement économique etc.), et les suites d’un licenciement pour lequel le Juge prononce la nullité.

Dans cette hypothèse, le salarié a le choix entre deux demandes : soit la réintégration, soit l’indemnisation de la rupture. L’indemnisation de la rupture est envisagée comme celle du licenciement illégitime, sous réserve parfois de quelques aménagements : ainsi en cas de nullité pour harcèlement, le minimum légal est équivalent à 6 mois de salaires, quelle que soit l’ancienneté, et le Juge n’est pas limité par un maximum.

S’agissant de la réintégration (qui s’impose à l’employeur), se pose la question de la régularisation de la situation du salarié, privé de rémunération entre la rupture annulée, et son retour sur le poste de travail. Le licenciement ayant été rétroactivement anéanti, le contrat de travail n’a juridiquement jamais cessé : le salarié est légitimement créancier d’un rappel de salaire.

Longtemps la Chambre sociale a sur ce point envisagé l’indemnisation d’un préjudice du salarié : une indemnité d’éviction devait lui être accordée, sur la base du salaire qu’il aurait perçu s’il avait effectivement travaillé pendant la période de perte de rémunération. N’ayant toutefois pas réalisé de prestation de travail effectif, aucun droit à congé payé ne pouvait être accordé sur cette période.

Cela permettait de prendre en compte toutes les situations, et notamment celle où le salarié a retrouvé un emploi et perçu un salaire, donc des droits à congé, pendant la période d’éviction. Cela permettait en outre de prendre en compte les différents contextes dans lesquels la nullité était prononcée : l’on considère en effet différemment le licenciement annulé en raison de la discrimination abusive ou le harcèlement dont le salarié a été victime, et celui annulé en raison de l’annulation antérieure de l’autorisation administrative de licencier, par exemple.

Or la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a considéré que si l’employeur a commis des manquements sanctionnés par la nullité de la rupture, conduisant ultérieurement à la réintégration du salarié, ce dernier a été privé de la possibilité de réaliser un travail effectif pour un motif « … imprévisible et indépendant de la volonté de ce travailleur « . Dans cette situation, le rappel de salaire qui doit lui être accordé pour la période d’éviction, doit aussi générer les droits à congé afférents.

Cette solution (que la CJUE applique aussi à la situation où le salarié est en arrêt-maladie, ce que la Cour de cassation n’a pas pour l’heure repris) ne peut être appliquée à toutes les situations. Ainsi dans l’hypothèse où le salarié a retrouvé un emploi pendant ladite période d’éviction, perçu un salaire et bénéficié réellement des droits à congé afférents, il convient de ne pas lui accorder à nouveau de tels droits à congés sur le rappel de salaire, conséquence de la nullité du licenciement…

Cette jurisprudence apparaît donc moins polyvalente, et nécessite de distinguer entre les différentes origines de la nullité, et les différentes situations du salarié pendant la période litigieuse. Elle est en outre et en tout état de cause, plus sévère en pratique pour l’entreprise employeur.

Cour de cassation, Chambre sociale,1er décembre 2021 (pourvois n° 19-24.766 et autres, publié au Bulletin)

  1. En raison de leur connexité, les pourvois n° N 19-24.766, W 19-26.269 et Z 19-25.812 sont joints.

Faits et procédure

  1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 25 septembre 2019), statuant sur renvoi après cassation (Soc., 6 octobre 2017, pourvoi n° 16-17.164), M. [T], engagé le 5 novembre 2008 en qualité de ‘’principal consultant’‘, directeur conseil France, par la société Frost & Sullivan Limited (la société), puis à partir de l’avenant du 31 janvier 2011 pour les seules activités de ‘’principal consultant’‘, a été victime d’un accident du travail le 24 juin 2010 et a été placé en arrêt de travail jusqu’au 5 juillet suivant.
  2. Il a été licencié pour insuffisance professionnelle le 10 août 2012.
  3. Contestant son licenciement, il a saisi la juridiction prud’homale.

Examen des moyens

(…)

  1. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui payer une rémunération de 8491,66 euros pour chaque mois écoulé entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration assortie des congés payés afférents, alors « que ce qui est annulé est réputé ne jamais avoir existé et l’annulation requiert de rétablir le statu quo ante ; qu’en affirmant que la période d’éviction n’ouvrait pas droit à acquisition de jours de congés payés après avoir pourtant constaté qu’il y avait lieu d’annuler le licenciement du salarié ce dont il résultait qu’il était fondé à solliciter le paiement de toutes les sommes et les droits dont il aurait bénéficié s’il n’avait pas été licencié, en ce compris ses salaires et les jours de congés payés afférents, la cour d’appel a violé l’article 1101 du code civil, ensemble l’article L. 1226-13 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail :

  1. Aux termes du premier de ces textes, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.
  2. Aux termes du second de ces textes, toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions des articles L. 1226-9 et L. 1226-18 est nulle.
  3. La Cour de cassation a jugé que la période d’éviction ouvrant droit, non à une acquisition de jours de congés, mais à une indemnité d’éviction, le salarié ne pouvait bénéficier effectivement de jours de congés pour cette période (Soc., 11 mai 2017, pourvoi n° 15-19.731, 15-27.554, Bull. 2017, V, n° 73; voir également Soc., 30 janvier 2019, pourvoi n° 16-25.672 ). Elle a jugé de même que le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration dans la limite des salaires dont il a été privé et qu’il ne peut acquérir de jours de congés pendant cette période (Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-19.004).
  4. Toutefois, la Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 25 juin 2020 (CJUE, 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, aff. C- 762/18 et Iccrea Banca, aff. C-37-19), a dit pour droit que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur.
  5. La Cour de justice a précisé dans cette décision que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit au congé annuel, consacré à l’article 7 de la directive 2003/88, a une double finalité, à savoir permettre au travailleur de se reposer par rapport à l’exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail, d’une part, et disposer d’une période de détente et de loisirs, d’autre part (arrêt du 20 juillet 2016, Maschek, C-341/15, EU:C:2016:576, point 34 et jurisprudence citée) (point 57).
  6. Cette finalité, qui distingue le droit au congé annuel payé d’autres types de congés poursuivant des finalités différentes, est basée sur la prémisse que le travailleur a effectivement travaillé au cours de la période de référence. En effet, l’objectif de permettre au travailleur de se reposer suppose que ce travailleur ait exercé une activité justifiant, pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé visée par la directive 2003/88, le bénéfice d’une période de repos, de détente et de loisirs. Partant, les droits au congé annuel payé doivent en principe être déterminés en fonction des périodes de travail effectif accomplies en vertu du contrat de travail (arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C-12/17, EU:C:2018:799, point 28 et jurisprudence citée) (point 58).
  7. Cela étant, dans certaines situations spécifiques dans lesquelles le travailleur est incapable de remplir ses fonctions, le droit au congé annuel payé ne peut être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, EU:C:2012:33, point 20 et jurisprudence citée) (point 59).
  8. Il en est ainsi, notamment, en ce qui concerne les travailleurs qui sont absents du travail à cause d’un congé de maladie au cours de la période de référence. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, au regard du droit au congé annuel payé, ces travailleurs sont assimilés à ceux qui ont effectivement travaillé au cours de cette période (arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C-12/17, EU:C:2018:799, point 29 et jurisprudence citée) (point 60).
  9. Or, il y a lieu de constater que, tout comme la survenance d’une incapacité de travail pour cause de maladie, le fait qu’un travailleur a été privé de la possibilité de travailler en raison d’un licenciement jugé illégal par la suite est, en principe, imprévisible et indépendant de la volonté de ce travailleur (point 67).
  10. Dès lors, la période comprise entre la date du licenciement illégal et la date de la réintégration du travailleur dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de ce licenciement par une décision judiciaire, doit être assimilée à une période de travail effectif aux fins de la détermination des droits au congé annuel payé (point 69).
  11. Enfin, il convient de préciser, que, dans l’hypothèse où le travailleur concerné a occupé un autre emploi au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de sa réintégration dans son premier emploi, ce travailleur ne saurait prétendre, à l’égard de son premier employeur, aux droits au congé annuel correspondant à la période pendant laquelle il a occupé un autre emploi (points 79 et 88).
  12. Il en résulte qu’il y a lieu de juger désormais que, sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d’éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.
  13. Pour rejeter la demande du salarié tendant à obtenir que la société soit condamnée à lui payer une rémunération pour chaque mois écoulé entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration assortie des congés payés afférents, l’arrêt retient que le salaire mensuel à prendre en considération pour calculer l’indemnité d’éviction s’élève à 8 491,66 euros, soit la rémunération perçue en moyenne par l’intéressé avant la rupture, et que la période d’éviction n’ouvre pas droit à acquisition de jours de congés.
  14. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

(…)

PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)