Lorsque le salarié prend l’initiative de la rupture, mais impute cette dernière aux fautes commises par l’employeur dans l’exécution de ses obligations contractuelles, la résiliation est qualifiée de prise d’acte. Si le salarié démontre sans aucun doute la réalité, et la gravité suffisante de ces manquements, alors cette prise d’acte produit les effets d’un licenciement abusif : à défaut, elle produit ceux d’une démission.

Le débat judiciaire (qui fait l’objet d’un encadrement processuel spécial) porte donc sur l’imputabilité de la rupture, soit la responsabilité contractuelle de l’employeur. Dès lors que le contrat de travail est incontestablement rompu (par exemple, comme dans l’arrêt ci-dessous signalé), le Juge doit procéder à cette appréciation des manquements de l’employeur reprochés par le salarié.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 18 septembre 2024 (pourvoi n° 23-13.069, publié au Bulletin)

M. [O] [X], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 23-13.069 contre l’arrêt rendu le 22 novembre 2022 par la cour d’appel de Chambéry (chambre sociale), dans le litige l’opposant à la société Jeanfred, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 22 novembre 2022), M. [X] a été engagé par la société Jeanfred le 2 octobre 2012, en qualité de chef de cuisine.

2. Par courrier recommandé du 22 juillet 2019, la société a demandé au salarié de justifier de son absence à compter du 20 juillet 2019 et de réintégrer son poste.

3. Le salarié, soutenant avoir fait l’objet d’un licenciement verbal, a saisi la juridiction prud’homale le 26 août 2019.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal pris en sa première branche et sur le moyen du pourvoi incident, réunis

Enoncé des moyens

4. Par son moyen, pris en sa première branche, le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes d’indemnité compensatrice de congés payés, d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi que les congés payés incidents, d’indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que lorsque l’employeur et le salarié sont d’accord pour admettre que le contrat de travail a été rompu, chacune des parties imputant à l’autre la responsabilité de la rupture, il incombe au juge de trancher ce litige en décidant quelle est la partie qui l’a rompu ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé que la société Jeanfred soutenait à titre principal que le salarié avait démissionné et à titre subsidiaire qu’il avait pris acte de la rupture, imputant la responsabilité de celle-ci au salarié, tandis qu’elle relevait que ce dernier estimait avoir fait l’objet d’un licenciement verbal ; que les parties, invités à fournir leurs observations en délibéré sur l’existence de la rupture, ont maintenu leur position ; qu’en déboutant le salarié de ses demandes aux motifs qu’il ne résultait pas des pièces versées aux débats que le contrat de travail aurait été rompu, quand l’employeur et le salarié étaient d’accord pour admettre que le contrat de travail avait été rompu, la cour d’appel a violé l’article 12 du code de procédure civile. »

5. Par son moyen, l’employeur fait grief à l’arrêt de le débouter de l’ensemble de ses demandes, alors « que lorsque l’employeur et le salarié sont d’accord pour admettre que le contrat de travail a été rompu, chacune des parties imputant à l’autre la responsabilité de la rupture, il incombe au juge de trancher ce litige en décidant quelle est la partie qui l’a rompu ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé que la société Jeanfred soutenait à titre principal que le salarié avait démissionné et à titre subsidiaire qu’il avait pris acte de la rupture, imputant la responsabilité de celle-ci au salarié, tandis qu’elle relevait que ce dernier estimait avoir fait l’objet d’un licenciement verbal ; que les parties, invitées à fournir leurs observations en délibéré sur l’existence de la rupture, ont maintenu leur position ; qu’en déboutant l’employeur le salarié de leurs demandes respectives quand il lui appartenait de décider quelle était la partie qui a rompu, la cour d’appel violé l’article 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 12 du code de procédure civile :

6. Selon ce texte, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

7. Pour débouter le salarié et l’employeur de l’ensemble de leurs demandes, l’arrêt retient qu’il ne résulte des pièces produites aux débats ni que le salarié ait manifesté une intention claire et non équivoque de démissionner, ni que l’employeur ait entendu rompre le contrat de travail du salarié ou même ait considéré que le contrat de travail était rompu du fait du salarié.

8. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’employeur et le salarié étaient d’accord pour admettre que le contrat de travail avait été rompu, chacune des parties imputant à l’autre la responsabilité de cette rupture, et qu’il lui incombait donc de dire à qui cette rupture était imputable et d’en tirer les conséquences juridiques, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)