Le contrat de travail des commerciaux, ou des cadres, peut prévoir une part variable de rémunération, conçue comme un moteur de motivation. Elle est souvent déterminée par des objectifs professionnels ou financiers, une performance individuelle ou collective, et elle est parfois conditionnée par la présence du salarié pendant l’ensemble de la période où ces objectifs ou performance sont appréciés.

Le Juge est régulièrement saisi de contentieux relatifs au calcul de cette rémunération variable, lorsque l’employeur ne précise pas les objectifs à atteindre, ou lorsque ceux-ci n’ont pas été renouvelés contrairement aux clauses du contrat. L’on sait que la jurisprudence permet une appréciation judiciaire assez souple, se référant notamment aux conditions contractuelles anciennes, ou aux minima prévus au contrat etc.

L’arrêt ci-dessous reproduit illustre un autre type de litige, relatif à l’intégralité travaillée de la période de référence de la part variable. En l’espèce le contrat imposait une condition de présence dans l’entreprise, au moment du paiement de la prime ; or ce paiement intervenait postérieurement au terme de la période travaillée.

Le salarié ayant rompu son contrat de travail avant la date de paiement, mais après avoir intégralement travaillé la période de référence, réclamait le paiement de sa commission ; l’employeur invoquait les dispositions expresses du contrat de travail pour refuser. Sur le fondement de l’obligation de loyauté imposée aux contractants, la Cour de cassation fait toutefois droit aux demandes salariales.

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 6 juillet 2022 (n° 21-12.242, inédit)

M. [V] [Z], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 21-12.242 contre l’arrêt rendu le 14 décembre 2020 par la cour d’appel de Limoges (chambre économique et sociale), dans le litige l’opposant à la société Dekra Industrial, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Norisko, défenderesse à la cassation.

(…)

Faits et procédure

  1. Selon l’arrêt attaqué (Limoges, 14 décembre 2020), M. [Z] a été engagé le 7 février 2008 par la société Norisko, aux droits de laquelle vient la société Dekra Industrial, en qualité de directeur des relations sociales. Le contrat de travail prévoyait le paiement d’une prime sur objectifs individuels pouvant atteindre 10 % de la rémunération annuelle.
  2. Le 1er septembre 2017, le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail.

(…)

Enoncé du moyen

  1. Le salarié fait grief à l’arrêt de limiter la condamnation de l’employeur au paiement d’une somme de 17 675,90 euros bruts outre les intérêts au taux légal à compter du 25 avril 2017 au titre du rappel de salaire correspondant à la prime contractuelle sur objectifs, alors « que le salarié ne peut être privé d’un élément de rémunération versé en contrepartie de son activité auquel il peut prétendre au prorata de son temps de présence ; qu’en écartant la demande de l’exposant au titre de l’année 2017 aux motifs qu’une prime dite d’objectifs ne peut être versée prorata temporis que si une disposition contractuelle ou conventionnelle le prévoit ou qu’un usage est prouvé au sein de l’entreprise, quand elle avait relevé que ladite prime constituait ‘‘la partie variable de la rémunération » versée au salarié en contrepartie de son activité, fixée ‘‘à 70 % au regard de la performance individuelle, celle-ci étant évaluée avec un indicateur financier, un indicateur qualitatif et un indicateur managérial », de sorte qu’elle s’acquérait au prorata du temps de présence de la salariée dans l’entreprise au cours de l’exercice, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

  1. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
  2. Il en résulte que si l’ouverture du droit à un élément de rémunération afférent à une période travaillée peut être soumise à une condition de présence à la date de son échéance, le droit à rémunération, qui est acquis lorsque cette période a été intégralement travaillée, ne peut être soumis à une condition de présence à la date, postérieure, de son versement.
  3. Pour dire que le salarié ne peut prétendre au paiement d’une partie de la prime d’objectifs contractuellement prévus pour l’année 2017, l’arrêt retient que, sur le principe, le droit au paiement prorata temporis d’une indemnité dite d’objectifs d’un membre du personnel ayant quitté l’entreprise, quel qu’en soit le motif, avant la date de son versement, ne peut résulter que d’une convention ou d’un usage dont il appartient au salarié de rapporter la preuve, et qu’en l’occurrence, le salarié ne rapporte pas cette preuve.
  4. En statuant ainsi, alors qu’elle constatait que la prime constituait une partie variable de la rémunération du salarié versée en contrepartie de son activité, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)