Le recours contre la décision unilatérale de l’employeur de fixer le périmètre des établissements distincts de l’entreprise, dans lesquels sont organisées les élections pour la désignation des représentants du personnel au CSE, est exercé devant le DIRECCTE puis le cas échéant devant le Juge judiciaire. Le délai pour procéder est très court, et ouvert uniquement aux syndicats représentatifs ou présents dans l’entreprise.
Le salarié individuellement ne peut engager ce recours, alors qu’il peut par ailleurs contester son rejet des listes électorales, ou le refus de sa candidature, etc. Cette restriction aux seules organisactions syndicales vaut pour toute décision organisant l’entreprise complexe, et donc tout aussi bien quant au constat de la perte de la qualité d’établissement distinct.
C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt ci-dessous reproduit. Même le candidat aux élections, et même à la suite de l’annulation de l’élection l’ayant désigné au second tour, n’a pas qualité pour agir à l’encontre de la décision supprimant l’établissement distinct dans lequel il avait été élu.
Cour de cassation, Chambre sociale, 20 octobre 2021 (pourvois n°20-60.258 à 20-60.261, publié au Bulletin)
(…)
Faits et procédure
2. Selon le jugement attaqué, (tribunal de proximité de Courbevoie, 24 juillet 2020), la société Securitas France a organisé le processus de mise en place des comités sociaux et économiques en son sein courant 2018. Après l’échec du processus de négociation des périmètres de mise en place de ces comités, l’employeur a fixé leur nombre à quatorze par une décision unilatérale du 12 octobre 2018. Saisi par plusieurs organisations syndicales d’une contestation du nombre et du périmètre des comités sociaux et économiques, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (le Direccte) a confirmé ces périmètres le 17 décembre 2018, et cette décision a elle-même été confirmée par le tribunal d’instance le 20 août 2019.
3. Les élections ont été organisées en juin 2019. Par jugement du 23 octobre 2019, le tribunal d’instance a annulé les élections des membres du comité social et économique de l’établissement Division [Localité 1] et ordonné qu’il soit procédé à de nouvelles élections.
4. Par décision unilatérale du 10 décembre 2019, l’employeur a décidé la perte de la qualité d’établissement distinct de la Division [Localité 1] et le transfert des agences de cette division vers la division Ile-de-France Sud.
5. Par requête en date du 19 décembre 2019, sept salariés de la société ont saisi le tribunal d’instance pour lui demander de suspendre les effets de la décision unilatérale de la société Sécuritas France en date du 10 décembre 2019, et d’ordonner l’organisation des élections sur le périmètre de la division [Localité 1].
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6. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
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7. Les salariés font grief au jugement de les débouter de leur demande de suspension de la décision unilatérale du 10 décembre 2019 et de leur demande subséquente tendant à ordonner à la société de convoquer les organisations syndicales intéressées à négocier un protocole d’accord préélectoral en vue de l’organisation de l’élection des membres du comité social et économique de l’établissement Division [Localité 1], alors :
« 1°/ qu’il incombe aux juges du fond de donner leur exacte qualification aux faits invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions et de les examiner, sous tous leurs aspects juridiques, conformément aux règles de droit qui leur sont applicables ; qu’en retenant que le juge judiciaire ne peut être amené à se prononcer sur la décision unilatérale de l’employeur relative à la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts prise en application de l’article L. 2313-4 du code du travail que dans le cadre d’un recours formé à l’entre de la décision de la Direccte fixant à la suite d’un litige portant sur la décision de l’employeur prévue à l’article L. 2313-4 du code du travail, le nombre et le périmètre de l’établissement distinct, le tribunal, sans se prononcer sur le bien fondé de la demande suspension, en application les règles de droit pertinentes, a violé l’article 12 du code de procédure civile ;
2°/ que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé, qu’en refusant d’examiner la demande exposant au motif que le salarié et le candidat aux élections professionnelles ne font pas partie des personnes expressément désignées par les articles L. 2313-1 et suivantes, L. 2232-12 et R. 2313-1 du code du travail, quand la demande concerne la suspension d’une décision unilatérale de l’employeur et non pas le nombre et le périmètre des établissements distincts, la cour d’appel a violé l’article 31 du code de procédure civile ;
3°/ que le fait que le salarié, ni même le candidat aux élections professionnelles ne fassent pas partie des personnes expressément désignées par les articles L. 2313-1 et suivants, L. 2232-12 et R. 2313-1 du code du travail ne peut les priver du droit de solliciter la suspension d’une décision illicite visant à les empêcher de se porter candidats aux élections professionnelles ; qu’en rejetant la demande de suspension de la décision unilatérale le temps de l’organisation des élections du CSE, le tribunal a porté une atteinte disproportionnée au droit pour chaque travailleur de participer, par l’intermédiaire de ses représentants, à la détermination de ses conditions de travail, en violation de l’article 8 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 ;
4°/ qu’en application de l’article L. 2312-8 du code du travail, la société était tenue d’informer et de consulter le CSE de la division [Localité 1] avant toute décision portant sur la perte de qualité d’établissement distinct de la division de [Localité 1], qu’en n’ordonnant pas la suspension d’une décision constitutive d’un trouble manifestement illicite jusqu’à l’organisation des élections professionnelles en vue de remplacer les membres dont les mandats avaient été annulés par décision judiciaire afin qu’ils puissent être consultés sur le projet de fermeture de l’établissement, le tribunal a violé l’article L. 2312-8 du code du travail. »
Réponse de la Cour
8. Il résulte de l’article L. 2313-2 du code du travail qu’un accord d’entreprise conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 2232-12 détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts, et de l’article L. 2313-4 du même code qu’en l’absence d’accord, l’employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel. La décision unilatérale de l’employeur peut être contestée devant le Direccte par les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise et les organisations syndicales ayant constitué une section syndicale dans l’entreprise, conformément à l’article R. 2313-1, alinéa 3, du même code.
9. Le constat de la perte de qualité d’établissement distinct, au sens des articles L. 2313-1 et suivants du code du travail, relève des mêmes dispositions puisqu’il conduit à modifier le nombre et le périmètre des établissements distincts au niveau desquels les comités sociaux et économiques sont mis en place dans l’entreprise. La contestation de la décision unilatérale de l’employeur décidant de la perte de qualité d’établissement distinct n’est donc ouverte devant le Direccte qu’aux seules organisations syndicales, représentatives ou ayant constitué une section syndicale dans l’entreprise, qui représentent les intérêts des salariés dans le cadre de la détermination des périmètres de mise en place des comités sociaux et économiques.
10. En l’espèce, le jugement retient qu’à la suite d’une réorganisation de l’entreprise, l’employeur avait invité les organisations syndicales représentatives à négocier sur la perte de qualité d’établissement distinct de la division [Localité 1], et que, faute d’accord, il avait constaté cette perte et le rattachement des salariés à un autre établissement par une décision unilatérale du 10 décembre 2019 sur laquelle aucune organisation syndicale n’a formé recours.
11. Le tribunal en déduit à bon droit que les salariés n’étaient pas recevables à demander la suspension des effets de cette décision unilatérale et l’organisation d’élections sur un périmètre n’étant plus reconnu comme constituant un établissement distinct.
12. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)
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