L’arrêt ci-dessous reproduit par extrait, développe une solution qui n’est pas nouvelle, mais dont les contours méritent d’être régulièrement rappelés. En effet à la suite de l’introdution dans notre Droit social, d’un tunnel d’indemnisation du licenciement illégitime, la polémique fait rage entre ses tenants et ses détracteurs.

Au-delà des querelles idéologiques, le débat est constamment relancé depuis cinq ans, à l’occasion des décisions de juridictions ou d’instances, nationales ou supra-nationales, saisies par les techniciens du Droit. Or les intérêts du Justiciable ne résident pas seulement dans l’allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dès la mise en oeuvre de la réforme issue des Ordonnances de septembre 2017, les observateurs ont immédiatement rappelé qu’une jurisprudence ancienne et consante de la Chambre sociale admettait que l’abus commis par l’employeur dans l’exercice de sa liberté de résilier le contrat de travail à durée indéterminée, pouvait être constitué par d’autres faits que l’absence de motif réel et sérieux. Le Législateur lui-même consacre ce raisonnement, dans le cadre du licenciement pour motif économique : ainsi le non-respect de l’ordre issu des critères de licenciement, disqualifie le licenciement abusif de façon distincte de la rupture illégitime, et autorise l’allocation de dommages-intérêts même si le motif économique de licenciement est admis.

La Cour de cassation a ainsi retenu que le licenciement abusif en raison des circonstances vexatoires ou infamantes de la rupture, ou du comportement spécifique de l’employeur (dissimulation délibérée d’un motif illicite au prétexte d’un motif économique, par exemple), causait au salarié un préjudice distinct de la seule perte illégitime de l’emploi due au défaut de motif réel et sérieux. Dans la majorité des cas, cela permet au salarié de compéter l’indemnisation du licenciement illégitime, plafonnée par la Loi, par des dommages-intérêts eux aussi distincts.

La Cour de cassation rappelle toutefois que l’abus commis par l’employeur peut être pareillement établi par le salarié (qui en supporte ici la charge de la preuve), même si le licenciement repose sur un motif réel et sérieux ; cette solution s’applique de façon identique au licenciement irrégulier, au licenciement nul, ou à celui décidé en violation des critères légaux etc. Ce préjudice distinct résulte en effet d’une faute distincte de l’employeur.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 18 janvier 2023 (pourvoi n° 21-15.693, publié au Bulletin)

Mme [O] [K], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 21-15.693 contre l’arrêt rendu le 5 février 2021 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre 4, 2), dans le litige l’opposant à la société Primonial, venant aux droits de la société W finance conseil, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 05 février 2021), Mme [K] a été engagée par la société W finance conseil, filiale du groupe Allianz, à compter du 9 janvier 2006, en qualité de conseiller financier et promue, à effet du 1er septembre 2012, au poste de conseiller en investissement financier, au statut cadre.

2. A la suite du rachat de W finance conseil par la société Primonial, le contrat de travail de la salariée a été transféré à cette structure.

3. Le 5 août 2014, l’employeur a notifié un avertissement à la salariée.

4. Convoquée le 9 décembre 2015 à un entretien préalable fixé au 18 décembre 2015, la salariée a été licenciée pour faute grave le 15 janvier 2016.

5. Elle a saisi la juridiction prud’homale pour contester son licenciement, solliciter l’annulation de l’avertissement du 5 août 2014, ainsi qu’un rappel de commissions et le remboursement d’une retenue irrégulière pour des tickets restaurants.

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7. La salariée fait grief à l’arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, alors « qu’en se bornant à relever, pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, que son licenciement pour faute grave est bien-fondé, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si l’éviction de la salariée avait été brutale, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

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Vu l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

11. Même lorsqu’il est justifié par une faute grave du salarié, le licenciement peut causer à celui-ci, en raison des circonstances vexatoires qui l’ont accompagné, un préjudice dont il est fondé à demander réparation.

12. Pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, l’arrêt retient que le licenciement pour faute grave ayant été considéré comme bien fondé, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [K] de sa demande de réparation du préjudice moral découlant du caractère abusif du licenciement.

13. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le licenciement n’avait pas été entouré de circonstances vexatoires, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)