Le médecin du travail peut décider de l’inaptitude physique du salarié, avec ou sans recommandation médicale de reclassement ; l’employeur doit le cas échéant tenter de reclasser l’intéressé. A défaut de reclassement possible, ou si aucune recommandation n’a été expressément notifiée par le médecin du travail, l’employeur peut décider le licenciement, éventuellement en reprenant le versement des salaires après un délai de 30 jours.

Il est possible au salarié comme à son employeur, de contester judiciairement la décision du médecin du travail, qu’il s’agisse d’un avis d’inaptitude ou de son refus de la reconnaître. Cette action est portée devant le Conseil de Prud’hommes, statuant au fond dans le cadre de la procédure d’urgence.

La décision du Juge se substituera à celle du médecin du travail, et l’employeur en tirera les conséquences susvisées comme s’il s’agissait de l’avis de ce dernier. C’est la raison pour laquelle le Conseil de Prud’hommes a la possibilité, dans le cadre de l’appréciation des éléments médicaux du litige, de solliciter l’avis du médecin inspecteur régional du travail.

L’arrêt du 02 juin 2021 ci-dessous reproduit, rappelle que le délai de recours est très bref : 15 jours à compter de la notification de la décision du médecin du travail aux parties. Il s’agit donc de réagir très vite en pratique, sans attendre la réception des explications ou compléments le cas échéant sollicités du médecin du travail.

Par ailleurs cette action est distincte de celle portant sur la contestation du licenciement qui peut s’ensuivre. On imagine en effet aisément que le salarié contestant son inaptitude physique, va ensuite contester la légitimité du licenciement que l’employeur aura décidé sur ce fondement.

L’originalité de l’affaire ici jugée, consiste en le fait que c’est l’employeur qui a contesté l’avis d’inaptitude notifié par le médecin du travail, avant d’engager la procédure de licenciement pour inaptitude sans possibilité de reclassement. L’entreprise ne devait pas être en effet enthousiaste à l’idée de reprendre le paiement des salaires jusqu’à la décision prud’homale…

Or le Juge du fond déclare sa demande en contestation de l’avis d’inaptitude du médecin du travail, irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, au motif qu’il en a fait application dans le cadre de ladite procédure de licenciement. Cette position est rejetée par la Cour de cassation : les deux contentieux restent ainsi indépendants.

COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, 2 JUIN 2021 (pourvoi n° 19-24.061, publié au bulletin)

(…)

1. Selon les arrêts attaqués (Versailles, 31 janvier 2019 et 3 octobre 2019), Mme (…) a été engagée en qualité de secrétaire par les (…) Doitrand.

2. Placée en arrêt de travail à compter du 25 novembre 2016, elle a introduit le 14 juin 2017, une action aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur.

3. Le 25 octobre 2017, elle a fait l’objet d’un avis d’inaptitude à tout poste par le médecin du travail.

4. Le 16 novembre 2017, l’employeur a saisi la juridiction prud’homale en la forme des référés, d’une contestation de cet avis et sollicité la désignation d’un médecin-expert.

5. Le 26 décembre 2017, il a procédé au licenciement de la salariée.

6. Un arrêt avant dire droit du 31 janvier 2019, a dit que le délai de quinze jours ouvert pour la saisine du conseil de prud’hommes a couru à compter de la réception par l’employeur de l’avis d’inaptitude et non d’éléments de nature médicale justifiant l’avis d’inaptitude et ordonné la réouverture des débats sur les conséquences à tirer de ce principe sur la recevabilité de la requête en contestation de l’avis d’inaptitude.

7. Un arrêt du 3 octobre 2019 a confirmé l’ordonnance déférée notamment en ce qu’elle a déclaré irrecevable l’action formée par l’employeur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. L’employeur fait grief à l’arrêt avant dire droit du 31 janvier 2019 de dire que le délai de quinze jours ouvert pour la saisine du conseil de prud’hommes a couru à compter de la réception par l’employeur de l’avis d’inaptitude et non d’éléments de nature médicale justifiant l’avis d’inaptitude et d’ordonner la réouverture des débats sur les conséquences à tirer de ce principe sur la recevabilité de la requête en contestation de l’avis d’inaptitude, alors « qu’en cas de contestation portant sur les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, la formation de référé est saisie dans un délai de quinze jours à compter de leur notification ; que ce délai court à compter du jour où les éléments de nature médicale justifiant la position du médecin du travail ont été notifiés ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé, par fausse application, les articles L. 4624-7 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et R. 4624-45 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1008 du 10 mai 2017 et de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des Droits de l’Homme. »

Réponse de la Cour

9. Aux termes de l’article L. 4624-7 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, le salarié ou l’employeur qui conteste les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4, peut saisir le conseil de prud’hommes, en sa formation de référé, d’une demande de désignation d’un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d’appel.

10. L’article R. 4624-45 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1008 du 10 mai 2017 applicable au litige, dispose qu’en cas de contestation portant sur des éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, la formation de référé du conseil de prud’hommes est saisie dans un délai de quinze jours à compter de leur notification.

11. Il en résulte que le point de départ du délai de quinze jours pour la saisine du conseil de prud’hommes court à compter de la notification de l’avis d’inaptitude émis par le médecin du travail.

12. Le moyen n’est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

13. L’employeur fait grief à l’arrêt du 3 octobre 2019 de confirmer l’ordonnance en ce qu’elle déclare irrecevable l’action formée par la société, alors « que l’intérêt au succès ou au rejet d’une prétention s’apprécie au jour de l’introduction de la demande en justice et l’intérêt d’une partie à interjeter appel s’apprécie au jour de l’appel dont la recevabilité ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l’auraient rendu sans objet ; qu’en l’espèce, il est constant que la société a saisi le conseil de prud’hommes le 16 novembre 2017 et interjeté appel de sa décision le 22 décembre 2017, soit à des dates où la salariée n’était pas licenciée ; la cour d’appel ne pouvait affirmer que la société serait privée d’intérêt à agir à raison du licenciement notifié postérieurement à l’action en justice, soit le 26 décembre 2017, sans violer les articles 31 et 122 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 31 du code de procédure civile :

14. Aux termes de ce texte, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

15. Pour déclarer l’action de l’employeur irrecevable, l’arrêt, après avoir constaté que la juridiction prud’homale avait été saisie le 14 juin 2017 d’une demande aux fins de résiliation judiciaire du contrat de travail par la salariée, retient que cette dernière a fait l’objet, le 25 octobre 2017, d’un avis d’inaptitude à tout poste de l’agence, que l’employeur a contesté cet avis dans le cadre de la présente instance, que sans attendre l’issue du litige, il a choisi de licencier la salariée en se prévalant de l’avis d’inaptitude que justement il contestait, qu’il ne justifie donc plus d’aucun intérêt à agir en contestation de l’avis d’inaptitude.

16. En statuant ainsi, alors que l’intérêt de l’employeur à contester un avis d’inaptitude et solliciter la désignation d’un médecin-expert doit être apprécié au jour de l’introduction de la demande, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS (…) ; CASSE ET ANNULE