Dans le cadre d’une instruction pénale, le mis en examen peut faire l’objet de mesures de contrôles judiciaires qui notamment peuvent contraindre ses activités professionnelles ou sociales. Or les droits et libertés fondamentaux de la personne présumée innocente ne peuvent êtres restreints que de façon raisonnable et justifiée.

Pour des manifestants violents, la question peut se poser quant à l’interdiction de territoire ou à l’interdiction de contact avec d’autres mis en examen. En effet au-delà de la liberté de manifester, qui peut être remise en cause en raison de motifs d’ordre public, les libertés d’opinion et d’expression (politiques, syndicales, associatives etc.) doivent recevoir la protection due aux droits et libertés fondamentaux.

L’arrêt ici éclairé donne une illustration de l’équilibre que le Juge doit assurer, entre ces droits humains fondamentaux et l’ordre public, notamment quant à la poursuite des activités militantes des personnes mises en cause dans le cadre d’enquêtes judiciaires. L’actualité est propice à ce telles précisions.

 

Cour de cassation, chambre criminelle, 28 novembre 2018 (pourvoi n° 18-85.161, inédit)
(…)
« en ce que l’arrêt attaqué a confirmé l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire de M. X… lui faisant obligation, notamment, de ne pas se rendre sur les communes de […] et de […] et de ne pas entrer en contact avec certaines personnes ;

« aux motifs qu’ « il résulte des articles 137 et 138 du code de procédure pénale qu’en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté, une personne mise en examen peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire si la personne mise en examen encourt une peine d’emprisonnement correctionnel ou une peine plus grave ; que M. X… est mis en examen des chefs de participation à un attroupement, sans arme, malgré des sommations de dispersion, organisation d’une manifestation sur la voie publique sans déclaration préalable, recel de vol aggravé, participation à une association de malfaiteurs en vue de la commission de délits punis de cinq ans d’emprisonnement, complicité de détention et transport de substances incendiaires ou explosives en vue de préparer des dégradations par substances explosives ou incendiaires en bande organisée ; que dans ces conditions, il encourt une peine d’emprisonnement correctionnel et est susceptible d’être astreint à un contrôle judiciaire ; qu’en l’état de la procédure, il existe à l’encontre de la personne mise en examen des indices graves ou concordants de sa participation à la commission des infractions qui lui ont été notifiées au titre de sa mise en examen ; qu’en effet, les investigations réalisées en matière de téléphonie, l’exploitation des nombreux documents saisis lors des perquisitions, jusqu’aux derniers éléments découverts lors de l’interpellation de M. X… chez ce dernier, mettent en évidence son implication active dans les faits objets de la présente information judiciaire ; que les investigations se poursuivent dans cette information complexe tant en raison du nombre de personnes mises en examen ou encore susceptibles de l’être, que des investigations qui restent à mener afin notamment de préciser le rôle de chacun ; qu’il convient de se prémunir de tout contact entre M. X… et les autres personnes mises en cause afin de préserver les déclarations de chacun ; qu’il est en outre nécessaire de s’assurer de la représentation en justice de M. X… ; qu’enfin il apparaît que les faits objets de l’information apparaissent fortement liés avec les locaux de la maison de la résistance située sur la commune de […] ainsi qu’aux environs de la commune de […] ; qu’il faut dès lors empêcher tout déplacement de M. X… en ces lieux afin de rendre impossible tout échange avec les autres mis en cause pouvant transiter par ces mêmes locaux ou leurs environs, et d’éviter toute réitération de faits illégaux ; que la poursuite de l’information est nécessaire, que l’état d’avancement des investigations justifie qu’une mesure de sûreté soit maintenue à l’égard de M. X… pour éviter toute concertation frauduleuse entre les coauteurs ou complices, garantir sa présence à tous les actes ultérieurs de la procédure, et prévenir le renouvellement des faits »;

« 1°) alors que selon l’article 137-2 du code de procédure pénale, le contrôle judiciaire est ordonné par le juge d’instruction qui statue après avoir recueilli les réquisitions du procureur de la République ; qu’en confirmant l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire, dont l’examen fait apparaître l’absence de réquisitions du procureur de la République, lesquelles étaient indispensables au juge d’instruction pour ordonner le placement du prévenu sous contrôle judiciaire, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés ;

« 2°) alors que la juridiction d’instruction qui interdit à la personne mise en examen de se livrer à une activité de nature professionnelle ou sociale, doit constater que l’infraction a été commise dans l’exercice ou à l’occasion de cette activité et qu’il existe un risque de commission d’une nouvelle infraction ; que l’interdiction faite au prévenu de se rendre dans le lieu dans lequel il exerce une activité de nature sociale au sein de l’association […] zone libre et de rentrer en contact avec d’autres personnes ayant la même activité s’assimile à une interdiction d’exercer cette activité ; qu’en prononçant une telle interdiction sans caractériser le risque actuel de commission d’une nouvelle infraction, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés ;

« 3°) alors que l’application du contrôle judiciaire ne doit pas porter atteinte aux droits fondamentaux que sont les droits à l’exercice d’une activité professionnelle ou sociale, à la liberté d’opinion et au respect de la dignité ; qu’en l’espèce, le prévenu soutenait que l’interdiction qui lui était faite de se rendre dans le lieu où il exerce son activité sociale dédiée à la défense environnementale et d’entrer en contact avec d’autres personnes exerçant la même activité sociale associative avait pour effet de constituer une violation de sa liberté d’opinion et d’association, en ce qu’elle l’empêchait de s’opposer au projet d’enfouissement des déchets nucléaires et de participer à une coordination citoyenne en ce sens ; qu’en ne s’expliquant pas sur l’atteinte disproportionnée à sa liberté d’opinion et d’association invoquée par le prévenu, la chambre de l’instruction n’a pas donné de base légale à sa décision » ;

(…)

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, de l’ordonnance qu’il confirme et des pièces de la procédure que des incidents violents ont opposé, le 21 juin 2017, sur le territoire de la commune de […] (Meuse), les forces de l’ordre à des manifestants qui s’opposaient à la création d’un site de stockage en sous-sol de déchets nucléaires ; que de nombreuses dégradations ont été commises ; qu’une information a été ouverte le 28 juillet 2017 contre personne non dénommée des chefs de dégradations par des moyens dangereux et association de malfaiteurs ; qu’une nouvelle manifestation violente s’est déroulée le 15 août 2017, pour le même motif ; que deux gendarmes ont été blessés et que des dégradations ont été commises ; que les participants ont lancé des pierres, des bouteilles incendiaires et des feux d’artifice en tir tendu ; que par réquisitoire supplétif du 14 décembre 2017, la saisine du juge d’instruction a été élargie non seulement aux incidents du 15 août 2017, mais également à la préparation de ces incidents ; que le réquisitoire supplétif visait des qualifications supplémentaires, en particulier les violences volontaires aggravées ; qu’au vu des résultats des investigations ordonnées par le juge d’instruction, sa saisine a de nouveau été élargie par le parquet le 18 janvier 2018, le 2 mai 2018 et le 23 mai 2018 ;

Attendu que les soupçons se sont portées sur plusieurs militants anti-nucléaires, parmi lesquels M. X…, mis en examen le 22 juin 2018 des chefs de participation à un attroupement malgré des sommations de dispersion, organisation d’une manifestation sur la voie publique sans déclaration préalable, recel, association de malfaiteurs, complicité de détention et transport de substances incendiaires ou explosives en bande organisée ; que le juge d’instruction l’a astreint, notamment, à l’interdiction de se rendre sur les communes de […] et de […] et de rencontrer certaines personnes nommément désignées ; que M. X… a interjeté appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer le placement sous contrôle judiciaire de l’intéressé, la chambre de l’instruction, après avoir énoncé les indices graves ou concordants de la participation de M. X… à la commission des infractions qui lui ont été notifiées au titre de sa mise en examen, relève notamment qu’il convient de se prémunir de tout contact entre M. X… et les autres personnes mises en cause afin de préserver les déclarations de chacun, qu’il apparaît que les faits objet de l’information sont fortement liés à la « Maison de la résistance » située sur la commune de […] ainsi qu’aux environs de la commune de […] ; que les juges concluent qu’il faut dès lors empêcher tout déplacement de M. X… en ces lieux, afin de rendre impossible tout échange avec les autres mis en cause pouvant transiter par ces mêmes locaux ou leurs environs, et d’éviter toute réitération de faits illégaux ;
Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors que le contrôle judiciaire mis à la charge de l’intéressé qui ne lui interdit pas, en dehors des lieux visés et à l’exception d’une interdiction de contact avec certaines personnes précisément énumérées, mises en cause dans la procédure, de poursuivre ses activités associatives, ne porte pas atteinte à sa liberté d’opinion, la chambre de l’instruction a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ; Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ; REJETTE (…)