Le territoire social sur lequel les élections professionnelles doivent être organisées, est envisagé de façon souple par le Droit social français. Loin de se focaliser sur de quelconques structures juridiques, il privilégie la collectivité de travail au sens où l’entend l’Union européenne.

En effet c’est l’établissement, même s’il n’a ni personnalité morale, ni identité sociale, qui recevra la désignation des institutions représentatives du personnel. Il est nécessaire toutefois que cet établissement distinct au sein de l’entreprise, soit doté d’une autonomie suffisante.

Ainsi la collectivité de travail doit être suffisamment cohérente : l’intermutabilité régulière du personnel au sein des différents établissements, suffit par exemple à disqualifier leur caractère distinct au sens de la règlementation sociale. De la même manière les articles L.2313-4 et suivants du Code du travail exigent que l’établissement distinct soit dirigé par un représentant de l’employeur.

C’est ce critère que l’arrêt ici éclairé met en avant. Le Juge doit en effet précisément rechercher s’il existe une autorité dirigeant l’établissement en cause, et le degré d’autonomie de celle-ci, qui n’a pas cependant à être une autonomie absolue, afin de qualifier l’établissement distinct.

Cour de cassation, Chambre sociale, 11 décembre 2019 (pourvoi n° 19-17.298, publié au bulletin)


1. Selon le jugement attaqué (tribunal d’instance de Saint-Etienne, 21 mai 2019), à la suite d’une tentative vaine de négociation d’un accord collectif pour la mise en place, au sein de la Mutualité française Loire Haute-Loire (la Mutualité), d’un ou plusieurs comités sociaux et économiques (CSE), l’employeur a décidé unilatéralement, le 6 novembre 2018, de la mise en place de trois CSE dans l’entreprise, correspondant aux trois secteurs d’activité existant au sein de celle ci. Trois organisations syndicales ont contesté cette décision devant le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (le DIRECCTE), lequel a, le 14 janvier 2019, fixé à vingt-quatre le nombre de CSE à mettre en place.

2. L’employeur a formé recours de la décision du DIRECCTE devant le tribunal d’instance, en demandant à ce que le nombre d’établissements distincts pour la mise en place de CSE soit fixé à trois, et subsidiairement, à un seul.

Examen du moyen
(…)

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2313-4 et L. 2313-5 du code du travail :

4. Pour constater l’absence d’établissements distincts au sein de la Mutualité et décider en conséquence que la représentation du personnel s’exercerait au sein d’un CSE unique, le tribunal d’instance relève que, si l’organigramme de l’entreprise révèle une organisation par délégation et subdélégation de pouvoir, notamment dans la filière médico-sociale, et que les termes de ces délégations évoquent des domaines de compétences variés, ainsi que la responsabilité pénale du délégataire, il convient de ne pas s’arrêter à la lecture de ces documents et des fiches de poste invoquées, mais de déterminer la manière dont le pouvoir s’exerce effectivement dans l’entreprise, notamment en matière de gestion du personnel, et que de fait, les directeurs de site disposent d’un rôle en matière de gestion du personnel mais doivent l’assurer en respectant les procédures définies au niveau de l’entreprise, que l’entreprise est certes divisée en filières, dont les directeurs participent à la définition des orientations générales de l’entreprise et la transmettent au sein de leur filière, mais qu’ils n’exercent pas les pouvoirs effectifs propres à leur conférer une autonomie de gestion d’autant que, aux termes du document contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens du 1er janvier 2016, certaines fonctions support sont centralisées au niveau du siège.

5. En se déterminant ainsi, alors que la centralisation de fonctions support et l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure l’autonomie de gestion des responsables d’établissement, et, qu’ayant constaté l’existence de délégations de pouvoirs dans des domaines de compétence variés et d’accords d’établissement, il lui appartenait en conséquence de rechercher au regard de l’organisation de l’entreprise en filières et en sites le niveau caractérisant un établissement distinct au regard de l’autonomie de gestion des responsables, le tribunal n’a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour : CASSE ET ANNULE (…)