Le contentieux de sécurité sociale obéit à des règles originales, dérogatoires au Droit commun. Les récentes réformes opérées depuis 2018, encore depuis le 1er janvier dernier, ne stantardisent pas totalement celles-ci, et l’arrêt ci-dessous reproduit (même s’il est rendu sous l’égide d’anciennes dispositions légales) énonce une solution qui reste applicable, dès lors qu’aucun texte exprès ne la contredit.

Le Code de procédure civile impose ainsi que lorsqu’un délai de procédure expire un samedi ou un dimanche, sa durée est prolongée jusqu’au prochain jour ouvrable. Ce mécanisme semble naturellement devoir être appliqué à tout délai, et notamment au délai de 10 jours francs permettant à l’employeur de prendre connaissance du dossier afin d’émettre ses observations, avant la décision de la Caisse d’assurance maladie reconnaissant un accident du travail.

La Doctrine est consensuelle pour encourager ce nivellement des règles de computation des délais processuels. C’est bien d’ailleurs le raisonnement retenu par la Caisse nationale d’assurance maladie elle-même, à l’occasion d’une récente lettre circulaire publiée au sujet du décret du 23 avril 2019, mettant en oeuvre cette réforme de l’article R.441-8 du Code de la sécurité sociale.

Mais le Juge n’est pas tenu par ces interprétations administratives, et la Cour de cassation rappelle régulièrement cette indépendance du pouvoir judiciaire en matière sociale, y compris lorsque cela contrarie une tolérance des Caisses au profit de l’assujetti. Il est ainsi choquant de constater que la Chambre sociale ne tient pas compte des tolérances admises par l’ACOSS, quant à l’exclusion de l’assiette des cotisations de certains bons d’achat octroyés au personnel par l’employeur, et confirme le redressement décidé par une URSSAF récalcitrante (Cass. Civ. 2ème, 14 février 2019).

Il en est donc de même pour la fixation du terme du délai susvisé. La Cour de cassation retient tacitement que la phase antérieure à la saisine de la juridiction sociale, ne doit pas être soumise aux règles du Code de procédure civile : ainsi en est-il de la procédure devant la Commission de recours amiable, ou encore de l’instruction de la Caisse d’assurance maladie en matière de reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Par conséquent seules les dispositions spéciales du Code de la sécurité sociale sont opposables au Juge : si elles n’imposent pas un mécanisme, ce dernier ne peut l’ajouter. Or l’article R.441-8 du Code de la sécurité sociale évoque un délai de 10 jours francs, sans aménager autrement son terme.

Ainsi dans l’hypothèse où ce délai expire un jour férié, un samedi ou un dimanche, soit un jour où les services de la Caisse sont fermés et ne peuvent permettre à l’employeur de prendre connaissance du dossier en cause, celui-ci ne pourra formuler utilement ses observations. En aucune manière le terme du délai ne pourra pourtant être repoussé.

Cette solution est largement critiquée, et ne reçoit le soutien ni de la plupart des juristes, ni des assujettis (le salarié peut lui aussi souffrir de ne pas pouvoir formuler efficacement d’observations), ni encore … des Caisses elles-même ! Elle est toutefois peu susceptible d’être écartée sur le fondement du procès équitable, pour les raisons susvisées.

Seul le « Législateur » peut intervenir, y compris par voie de décret, pour modifier (à l’occasion d’une loi de financement de la sécurité sociale ?) l’article R.441-8. En attendant, l’entreprise employeur a intérêt à consulter immédiatement le dossier dès réception de l’information notifiée par la Caisse, afin de formuler au plus vite ses observations : passé le délai absolu de 10 jours francs maximum, celles-ci seront rejetées.

Cour de cassation, 2ème Ch. civ., 13 février 2020 (pourvoi n° 19-11.253, publié au bulletin)

1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 novembre 2018), la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône (la caisse) a reconnu, par une décision en date du 5 mai 2014, le caractère professionnel de l’accident dont M. X…, salarié de la société NCI Propreté Sud France, aux droits de laquelle vient la société COVED (la société), a été victime le 25 février 2014.

2. Après rejet de son recours amiable, la société a contesté l’opposabilité, à son égard, de cette décision devant une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Énoncé du moyen

3. La caisse fait grief à l’arrêt de déclarer inopposable à l’employeur la décision de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident dont M. X… a été victime le 25 février 2014 alors « que les dispositions des articles 640 et suivants du code de procédure civile, propres à la computation des délais légaux pour l’accomplissement d’un acte ou d’une formalité, n’ont pas vocation à s’appliquer au calcul du délai imparti à un employeur pour venir consulter le dossier de la caisse préalablement à la décision à intervenir sur la prise en charge d’un accident au titre de la législation professionnelle ; qu’en retenant le contraire pour déclarer inopposable à la société NCI Propreté Sud France aux droits de laquelle vient la société COVED la décision du 5 mai 2014 par laquelle la CPCAM des Bouches-du-Rhône a reconnu le caractère professionnel de l’accident dont Monsieur X… a été victime le 25 février 2014, la cour d’appel a violé ensemble par fausse application les articles 641 et 642 du code de procédure civile et R. 441-14 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles R.441-14, alinéa 3, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable au litige et 642 du code de procédure civile :

4. Selon le premier de ces textes, dans les cas où elle a procédé à une instruction conformément au dernier alinéa de l’article R. 441-11, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l’employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d’en déterminer la date de réception, l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de faire grief ainsi que sur la possibilité de venir consulter le dossier.

5. L’arrêt constate que la lettre d’information sur la clôture de l’instruction et sur la possibilité de consulter le dossier avant la décision de la caisse devant intervenir le lundi 5 mai 2014, a été reçue le 23 avril 2014 par la société.

6. Pour dire inopposable à cette dernière la décision de la caisse de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident de M. X…, l’arrêt retient que par application des articles 640 à 642 du code de procédure civile, la date de réception et celle de la prise de la décision ne doivent pas être prises en compte dans le calcul des délais, que le délai de dix jours francs expirant le samedi 3 mai à minuit devait être prolongé jusqu’au lundi 5 mai à minuit et que la décision ayant été prise le lundi 5 mai, l’employeur n’a bénéficié que d’un délai de neuf jours francs, de sorte que la caisse n’a pas satisfait aux prescriptions de l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale.

7. En statuant ainsi, alors que les dispositions de l’article 642 du code de procédure civile ne sont pas applicables au délai minimum de dix jours francs devant s’écouler entre la réception, par la victime ou ses ayants droit et l’employeur, de la communication qui leur est faite par la caisse, en application de l’article R. 441-14, alinéa 3, du code de la sécurité sociale , de l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier et la décision de la caisse sur le caractère professionnel d’un accident ou d’une maladie, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties qu’il est fait application des articles L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. L’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie que la Cour de cassation statue au fond.

10. Plus de dix jours francs s’étant écoulés entre la réception, le 23 avril 2014, par la société, de la communication par la caisse de l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de lui faire grief ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier et la décision de la caisse sur le caractère professionnel de l’accident, intervenue le 5 mai 2014, la demande de la société tendant à lui voir déclarer inopposable cette décision est rejetée.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)