Le délit d’entrave, qui protège la désignation, le mandat et le fonctionnement des institutions représentatives des travailleurs, constitue une qualification pénale originale, propre au seul Droit social. Il n’existe en effet aucune infraction similaire dans le Code pénal.
L’arrêt ici éclairé nous en révèle une illustration originale, en même temps qu’il nous rappelle le concours réel d’infraction de ce délit avec celui de discrimination abusive. Un représentant syndical s’est en effet vu refuser l’accès à une réunion au sein d’un établissement, dans lequel il n’était pas affecté en tant qu’agent.
Sa plainte du chef de discrimination syndicale va être rejetée. En effet les autres membres de la délégation syndicale qu’il accompagnait, ayant quant à aux été accueillis par la Direction, le critère syndical ne pouvait être invoqué pour caractériser le refus qui lui avait été opposé.
En revanche le délit d’entrave peut quant à lui être retenu, et poursuivi en l’espèce. En effet la Direction était en premier lieu informée par l’organisation syndicale représentative au sein de l’établissement, de la venue de son représentant : cette qualité ne pouvait donc pas être discutée pour empêcher l’accès de l’intéressé à la réunion où était conviée ladite organisation syndicale.
En second lieu les représentants syndicaux extérieurs ont un libre accès aux réunions syndicales organisées au sein d’un établissement, et tout obstacle à leur libre circulation constitue le délit d’entrave. le fait que leur présence créerait un trouble à l’ordre public n’est pas de nature en principe à restreindre cette liberté fondamentale.

Cour de cassation, chambre criminelle, 4 septembre 2018 (pourvoi n° 17-86.619, publié au bulletin)
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contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de VERSAILLES, en date du 27 octobre 2017, qui, dans l’information suivie contre M. Pascal Z… pour entrave à l’exercice du droit syndical, discrimination en raison d’activités syndicales et violation du secret professionnel, complicité et recel de violation du secret professionnel, a confirmé l’ordonnance de non-lieu prononcée par le juge d’instruction ;
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Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 24 juin 2009, une délégation de l’Union Nationale Pénitentiaire (UNP) a souhaité entrer dans la maison d’arrêt de […] et, qu’à cette fin, le secrétaire régional du syndicat a adressé une lettre au directeur de l’établissement, M. Z…, par télécopie reçue le 23 juin 2009 ; que le jour dit une délégation de l’UNP s’est présentée et que seul M. Y… s’est vu refuser l’accès à l’établissement pénitentiaire ; que, le 22 septembre 2009, M. Y… a porté plainte et s’est constitué partie civile contre M. Z… pour diffamation publique envers un fonctionnaire public ; que ce dernier a été relaxé par un arrêt de la cour d’appel du 19 janvier 2012, confirmant le jugement du tribunal correctionnel, et que le pourvoi formé contre cette décision a été rejeté par la Cour de cassation le 8 janvier 2013 ; que, le 19 septembre 2012, M. Y… a porté plainte et s’est constitué partie civile devant le doyen des juges d’instruction pour entrave à l’exercice du droit syndical, discrimination en raison d’activités syndicales, violation du secret professionnel, complicité et recel de violation du secret professionnel ; que M. Z… a été mis en examen du chef d’entrave à l’exercice des fonctions d’un délégué syndical et placé sous le statut de témoin assisté des chefs de discrimination à raison d’activités syndicales et de recel de violation du secret professionnel ; que, le 27 décembre 2016, le juge d’instruction a rendu une ordonnance non-lieu ;
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Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 225-1 et 432-7, 1° du code pénal, et des articles 2,186, alinéa 2, 205, 485, 496 et suivants, 567, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble l’article 225-2 du code pénal ;
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches ;
Attendu que pour confirmer la décision du juge d’instruction de prononcer un non-lieu du chef de discrimination syndicale, l’arrêt constate que M. Y… s’est certes vu refuser l’entrée, mais que ses collègues appartenant au même syndicat, composant la délégation UNP, ont été autorisés à pénétrer dans l’établissement et à exercer leurs mandats à ce titre ; qu’ils en déduisent que le traitement réservé à M. Y…, par rapport à ses collègues présents ce jour-là, n’apparaît pas justifié par son activité syndicale, contrairement à ses allégations aux termes desquelles il avait affirmé que M. Z… avait voulu ainsi discriminer ,en sa personne, le syndicaliste qu’il était ; qu’ils ajoutent que le directeur de l’établissement pénitentiaire a justifié son refus auprès des membres du syndicat, lesquels ne se sont pas joints à la procédure, n’ayant aucun grief à reprocher à M. Z… sur ce point ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi la chambre de l’instruction a justifié sa décision ;
D’où il suit que les griefs doivent être écartés ;
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Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 2141-4 et suivants, L. 2146-1 du code du travail, le décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique, notamment ses articles 3, 4, 6 et 7, ensemble les articles 199 et suivants, notamment 204, 485, 567, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
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Attendu que, pour confirmer l’ordonnance entreprise au motif pris que, au moment des faits, la qualité de M. X… Y… demeurait incertaine, l’arrêt énonce que sa responsabilité au sein du syndicat UNP n’a jamais été justifiée, ses fonctions de secrétaire général adjoint de l’UNP ne résultant que du seul fax adressé à la direction de l’établissement le 23 juin 2009, lequel au demeurant ne fait état que de la qualité de M. B… Y… ; que les juges ajoutent que cette qualité est en outre contestée par l’avocat de M. Z… dans ses écritures du 20 mai 2015, lequel produit notamment un document intitulé « composition bureau national », en date du 18 juin 2007, sur lequel figure en qualité de secrétaire général adjoint de l’UNP le nom d’une autre personne que celui de M. Y… ; qu’ils énoncent que M. Y…, seule personne à avoir déposé plainte et argué d’une violation du droit syndical, n’était pas délégué syndical de l’établissement au moment des faits et qu’il avait même quitté les effectifs de la maison d’arrêt de […] ; qu’ils en déduisent qu’il doit donc être considéré comme une personne extérieure ; qu’ils concluent qu’il ne résulte pas en conséquence de l’information qu’un droit reconnu par la loi à M. Y…, dont la qualité au moment des faits demeure incertaine, ait été méconnu à son préjudice direct et personnel ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la direction régionale du syndicat UNP avait, par une lettre adressée par télécopie au directeur de l’établissement pénitentiaire, porté à sa connaissance la qualité de secrétaire général adjoint du syndicat de M. Y…, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
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Attendu que […] tout représentant mandaté à cet effet par une organisation syndicale a libre accès aux réunions tenues par cette organisation à l’intérieur des bâtiments administratifs, même s’il n’appartient pas au service dans lequel une réunion se tient ;

Attendu que pour confirmer l’ordonnance de non-lieu pour le délit d’entrave au droit syndical, l’arrêt énonce que les termes du décret du 28 mai 1982 précisent que les personnes extérieures représentant une organisation syndicale ont libre accès aux réunions, mais pas aux visites de l’établissement et que si les dispositions du code du travail applicables à la fonction publique encadrent le droit du délégué syndical à la libre circulation au sein de l’établissement, il n’en est pas de même des personnes extérieures ; que les juges retiennent que M. Y…, seule personne à avoir déposé plainte et argué d’une violation du droit syndical, n’était pas délégué syndical de l’établissement au moment des faits, qu’il avait même quitté les effectifs de la maison d’arrêt de […] et qu’il doit donc être considéré comme une personne extérieure ; qu’ils soulignent que les faits ont eu lieu au sein de l’administration pénitentiaire où le chef d’établissement dispose d’une responsabilité dans le fonctionnement du service et dans le respect de l’ordre public et que les conditions d’exercice des dispositions du décret du 28 mai 1982 ne pouvaient en tout état de cause empêcher l’application par le chef d’établissement des dispositions du code de procédure pénale selon lesquelles il a l’obligation de veiller à la sécurité et au bon ordre de son établissement ; qu’ils ajoutent enfin que, d’une part, les autres délégués UNP ont pu exercer leur mandat syndical collectivement et ont pu pénétrer dans l’établissement, d’autre part, M. Z…, directeur de l’établissement au moment des faits, a expliqué avoir refusé l’accès de celui-ci à M. Y… du fait non de son appartenance syndicale mais d’incidents survenus avec ce dernier un an auparavant au sein de la maison d’arrêt, et de la nécessité en sa qualité de chef d’établissement d’assurer la sécurité de ce dernier ;

Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, d’une part, si le motif de la venue de M. Y… dans l’établissement pénitentiaire était une réunion ou une visite d’établissement, d’autre part, si la décision du chef d’établissement, restreignant la liberté de circulation d’un délégué syndical au sein de locaux administratifs, était nécessaire, adaptée et proportionnée aux informations dont il avait connaissance, eu égard à sa responsabilité de veiller à la sécurité et au bon fonctionnement de la maison d’arrêt, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision ;

D’où il suit que la cassation est à nouveau encourue de ce chef ;

Par ces motifs : CASSE et ANNULE (…)