La prise d’acte par le salarié de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, est un mode de résiliation spécifique, distinct de la démission, que la Jurisprudence sociale a identifié au tournant du siècle. Après avoir en effet longtemps évoqué une « démission forcée », qui engagerait la responsabilité de l’employeur, la Cour de cassation a élaboré un régime prétorien pour cette rupture unilatérale à l’initiative du salarié, mais imputable aux torts de l’employeur.

Dans l’hypothèse où ce salarié démontre devant le Juge, la réalité et la gravité suffisante des manquements de l’employeur, la résiliation produit les effets d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse. A défaut elle s’analyse en démission.

Le législateur a pris en compte la notion de prise d’acte, mais sans en donner la définition ni en fixer le régime : son origine prétorienne est respectée, seul le Juge restant légitime pour la faire évoluer. Ainsi le Code du travail prévoit-il seulement que le contentieux prud’homal (incontournable par nature) est soumis à une procédure spéciale : dispense du préambule de conciliation, et jugement dans le délai d’un mois.

Or justement la description de ce qu’est la prise d’acte reste ouverte, aucun formalisme ni qualification expresse ne pouvant être exigés du salarié. La jurisprudence retient donc que la « démission » notifiée dans un contexte de litige concomitant, peut recevoir cette qualification, et être par conséquent soumise à la procédure dérogatoire susvisée.

Dans l’espèce jugée par la Chambre sociale dans l’arrêt signalé ci-dessous, la salariée avait notifiée une lettre de démission qui n’évoquait en rien un quelconque différend avec son employeur, d’autant plus qu’elle était représentante du personnel, et en conséquence … protégée contre le licenciement ! Plusieurs mois après la rupture, elle a pourtant saisi le Conseil de Prud’hommes en réclamant la reconnaissance d’une prise d’acte, avec toutes conséquences de Droit.

Elle établissait en effet la concomitance d’un harcèlement moral, au moment de cette « démission », que l’employeur n’a pu visiblement démentir. Or l’on sait que si le doute profite à l’employeur, dans le cadre du contentieux de la prise d’acte, il profit au salarié dans le cadre de celui du harcèlement.

Ainsi lorsqu’un tel harcèlement est retenu par le Juge, la rupture concomitante du contrat de travail par le salarié peut être analysée en prise d’acte. Même si le salarié s’est limité à notifier une lettre mentionnant expressément une « démission », cette qualification ne le lie pas, pas plus que son Juge…

Cour de cassation, Chambre sociale, 18 septembre 20149 (pourvoi n° 18-15.765, publié au Bulletin)

(…)

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme O… a été engagée le 26 décembre 2009 en qualité d’assistante de direction par la société Puget Drive exerçant sous l’enseigne Mc Donald’s ; qu’elle a démissionné de son emploi et de son mandat de délégué du personnel le 24 avril 2013 et a saisi le 6 octobre 2014 la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de sa démission en une prise d’acte aux torts de l’employeur ; que l’affaire a été portée directement devant le bureau de jugement ;

Sur le deuxième moyen et sur les deuxième et troisième branches du troisième moyen :

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens ci-après annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande tendant à déclarer prescrites les demandes de la salariée, alors, selon le moyen, que devant le conseil de prud’hommes, l’affaire n’est portée directement devant le bureau de jugement que lorsque le salarié sollicite la qualification de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits que le salarié reproche à son employeur, et non pas lorsqu’il a démissionné sans réserve ; que, par suite, l’action est prescrite lorsque le bureau de jugement est saisi de la qualification d’une démission sans réserve plus de deux ans à compter du jour de celle-ci ; qu’en l’espèce, l’arrêt attaqué a relevé et il était acquis aux débats que la salariée avait, non pas pris acte de la rupture de son contrat de travail, mais démissionné sans réserve le 24 avril 2013 ; qu’en affirmant néanmoins que l’action de la salariée n’était pas prescrite, au motif que l’article L. 1451-1 du code de travail ne fait aucune différence entre une rupture du contrat de travail par prise d’acte du salarié aux torts de l’employeur et une rupture résultant d’une démission dont il est demandé la requalification en licenciement irrégulier et infondé, de sorte que la salariée, en portant l’affaire directement devant le bureau de jugement le 6 octobre 2014, avait valablement saisi le conseil de prud’hommes, peu important que le jugement du conseil de prud’hommes de Fréjus du 21 janvier 2016 ait renvoyé les parties à l’audience de conciliation, la cour d’appel a violé les articles L. 1451-1 et L. 1471-1 du code du travail ;

Mais attendu que l’article L. 1451-1 du code du travail prévoit que, lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine ;

Et attendu que la cour d’appel a exactement décidé que, l’article L. 1451-1 du code du travail ne faisant pas de distinction entre une rupture du contrat de travail par prise d’acte du salarié aux torts de l’employeur et une rupture résultant d’une démission dont il est demandé la requalification, la salariée avait valablement saisi le conseil de prud’hommes le 6 octobre 2014 de sorte que sa demande n’était pas prescrite ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur la première branche du troisième moyen :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de dire non valable la démission de la salariée et de dire que la rupture de son contrat de travail s’analyse en un licenciement nul et de le condamner au paiement de diverses sommes à titre des indemnités de rupture et de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que lorsqu’elle est notifiée sans réserve, la démission ne peut être considérée comme équivoque que si elle est remise en cause dans un délai raisonnable ; qu’en l’espèce, la salariée a démissionné sans réserve le 24 avril 2013, en écrivant à son employeur : « Je souhaite démissionner de mon poste d’assistante de direction que j’occupe au sein de la SASU Puget Drive depuis le 1er janvier 2010. Je vous demanderai s’il vous plaît de ne pas effectuer mon préavis qui est de deux mois. De plus, je démissionne aussi de mon poste de délégué du personnel à compter de ce jour. Je vous remercie d’avance pour votre compréhension » ; qu’en affirmant que cette démission n’était pas valable et que la rupture devait s’analyser en un licenciement nul, au motif que la démission était motivée par les agissements de harcèlement commis par l’employeur, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il ressortait que la salariée n’avait saisi le conseil de prud’hommes de Fréjus que le 6 octobre 2014, soit plus de dix-sept mois après sa démission, de sorte que celle-ci n’avait pas été remise en cause dans un délai raisonnable, violant ainsi les articles L. 1231-1 et L. 1237-1 du code du travail ;

Mais attendu que, sous le couvert de violation de la loi, le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine des juges du fond, qui ont relevé que la salariée établissait l’existence d’un important différend avec sa hiérarchie depuis le mois d’avril 2012 résultant des faits de harcèlement commis par son directeur général ;

Sur le quatrième moyen :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner au paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul, de dommages-intérêts pour harcèlement moral, d’indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur, alors, selon le moyen, que le salarié licencié en violation de son statut protecteur et qui ne demande pas sa réintégration peut prétendre soit à une indemnité forfaitaire égale au montant des salaires qu’il aurait dû percevoir jusqu’à la fin de sa période de protection s’il présente sa demande d’indemnisation avant cette date, soit à une indemnité dont le montant est fixée par le juge en fonction du préjudice subi lorsqu’il introduit sa demande après l’expiration de sa période de protection sans justifier de motifs qui ne lui soient pas imputables ; qu’en affirmant en l’espèce que la salariée avait valablement engagé son action en saisissant directement le bureau de jugement du conseil de prud’hommes de Fréjus le 6 octobre 2014, de sorte qu’elle avait droit à l’intégralité des salaires qu’elle aurait perçus jusqu’à la fin de la période de protection, au motif que l’article L. 1451-1 du code de travail ne fait aucune différence entre une rupture du contrat de travail par prise d’acte du salarié aux torts de l’employeur et une rupture résultant d’une démission dont il est demandé la requalification en licenciement irrégulier et infondé, tandis que, en l’état de la démission sans réserve de la salariée intervenue le 24 avril 2013, seul le renvoi de l’affaire à l’audience de conciliation par jugement du conseil de prud’hommes de Fréjus du 21 janvier 2016 avait valablement saisi ce dernier, soit après la fin de la période de protection intervenue le 8 janvier 2016, et qu’il n’était pas allégué de motifs non imputables à la salariée justifiant cette saisine après la fin de la période de protection, la cour d’appel a violé les articles L. 1451-1, L. 2411-1 et L. 2411-5 du code du travail ;

Mais attendu que le salarié licencié en violation de son statut protecteur et qui ne demande pas sa réintégration peut prétendre soit à une indemnité forfaitaire égale au montant des salaires qu’il aurait dû percevoir jusqu’à la fin de sa période de protection s’il présente sa demande d’indemnisation avant cette date, soit à une indemnité dont le montant est fixée par le juge en fonction du préjudice subi lorsqu’il introduit sa demande après l’expiration de sa période de protection sans justifier de motifs qui ne lui soient pas imputables ;

Qu’ayant retenu que l’action avait été valablement engagée par la salariée le 6 octobre 2014, avant l’expiration de sa période de protection le 8 janvier 2016, la cour d’appel a exactement décidé que sa demande en paiement des salaires jusqu’au terme de son mandat de délégué du personnel était justifiée ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le cinquième moyen :

Vu l’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, applicable en la cause ;

Attendu qu’après avoir dit non valable la démission de la salariée et dit que cette rupture s’analyse en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement nul, l’arrêt condamne l’employeur à rembourser à Pôle emploi ou aux organismes intéressés, en application de l’article L. 1235-4 du code du travail les indemnités de chômage versées à la salariée du jour de son licenciement, dans la limite de six mois ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le remboursement des indemnités de chômage ne pouvait être ordonné en cas de nullité du licenciement, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et vu l’article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l’article 1015 du même code ;

Et attendu qu’il convient de condamner la société Puget Drive qui succombe pour l’essentiel aux dépens d’instance ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE (…)