Le principe d’égalité de traitement entre travailleurs, contrairement à ce que le profane peut imaginer, est d’application subtile. L’arrêt de la Cour de cassation ci-dessous principalement reproduit, donne une illustration des difficultés d’interprétation auquel il peut donner lieu.

La jurisprudence communautaire impose notamment de le considérer de façon spécifique, lorsqu’il concerne l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est pourquoi certaines règles égalitaires peuvent être neutralisées au profit des salariées, et pour cette raison.

La règlementation sociale prévoit ainsi de calculer les indemnités de rupture de façon proportionnelle, lorsque le salarié a enchaîné des périodes à temps plein et à temps partiel dans l’entreprise employeur. Mais lorsque ladite période à temps partiel résulte d’un congé parental, cette proportionalité ne doit pas s’appliquer à la salariée mère de famille, selon la Chambre sociale.

Le salaire sur la base duquel seront calculés lesdites indemnités, ainsi le cas échéant que les dommages-intérêts pour rupture abusive, sera donc le salaire à temps plein que percevait l’intéressée avant son congé parental. Le Juge constate en effet, comme la Cour de Justice de l’Union Européenne, qu’en pratique ce passage temporaire à temps partiel concerne principalement les femmes.

L’égalité de traitement entre travailleurs femmes et hommes, ainsi que l’égalité entre salariés à temps plein et temps partiel, imposent donc que l’on occulte ce passage à temps partiel : à défaut cela constituerait une discrimination sexiste. Bien entendu cette solution ne s’appliquera pas dans les autres cas d’alternance de temps plein et temps partiel.

COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, 4 AVRIL 2021 (pourvoi n° 19-21.508, inédit)

Mme [A] [E], épouse [M], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 19-21.508 contre l’arrêt rendu le 20 juin 2019 par la cour d’appel de Versailles (11e chambre), dans le litige l’opposant à la société Quadient France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée société Neopost France, défenderesse à la cassation.

(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 20 juin 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 14 février 2018, pourvoi n° 16-25.323), Mme [E] a été engagée le 28 août 2006 en qualité de chargée de communication par la société Satas, qui a ultérieurement été absorbée par la société Neopost désormais dénommée Quadient France.

2. Elle a notamment saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société et de demandes indemnitaires subséquentes.

(…)

3. La salariée fait grief à l’arrêt de limiter à certaines sommes les condamnations de la société à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, d’indemnité de préavis et de droits à congés payés afférents ainsi que d’indemnité pour licenciement nul, alors :

« 1°/ que, lorsqu’un travailleur engagé à durée indéterminée et à temps plein est licencié au moment où il bénéficie d’un congé parental à temps partiel, son indemnité de licenciement doit être déterminée entièrement sur la base de la rémunération afférente aux prestations de travail effectuées à temps plein ; qu’en l’espèce, après avoir prononcée la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [M] au jour où elle statuait, soit le 20 juin 2019 et alors que Mme [M] était à cette date en congé parental à temps partiel, la cour d’appel s’est référée, pour fixer l’indemnité de licenciement qui lui était due, à sa rémunération au titre d’un temps partiel ; qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel a violé l’article L. 1132-1 du code du travail, ensemble l’article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’accord cadre sur le congé parental figurant à l’annexe de la directive 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996 modifiée par la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010 portant application de l’accord-cadre révisé sur le congé parental ;

2°/ que, dans ses écritures, Mme [M] avait rappelé que, par arrêt en date du 8 mai 2019, la Cour de Justice de l’Union Européenne, saisie sur question préjudicielle de la Cour de cassation, avait décidé que l’accord cadre sur le congé parental et l’article 157 du Traité de l’Union européenne, qui est d’effet direct, s’opposaient à la réglementation française prévoyant que lorsqu’un travailleur engagé à un durée indéterminée et à temps plein est licencié au moment où il bénéficie d’un congé parental à temps partiel, son indemnité de licenciement soit calculée sur la base de sa rémunération à temps partiel, dès lors qu’un tel calcul aboutissait à créer une discrimination indirecte fondée sur le sexe qui n’était pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, en sorte qu’il y avait lieu d’écarter cette réglementation et de calculer son indemnité de licenciement au regard de son salaire à temps complet ; qu’en se bornant à affirmer, pour condamner la société Neopost à verser à Mme [M] la seule somme de 7620,32 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, que Mme [M] percevait en dernier lieu une rémunération au titre d’un temps partiel, avec un salaire moyen de référence de 1 571,20 euros sans rechercher, ainsi cependant qu’elle y était invitée, si le calcul de son indemnité de licenciement au regard de son salaire à temps partiel n’avait pas pour effet de créer une discrimination indirecte fondée sur le sexe, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.1132-1 du code du travail, ensemble l’article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’accord-cadre sur le congé parental figurant à l’annexe de la directive 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996 modifiée par la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010 portant application de l’accord-cadre révisé sur le congé parental ;

3°/ que, en s’abstenant de répondre aux écritures de Mme [M] laquelle soutenait qu’en application des dispositions et de la jurisprudence communautaires, son indemnité de licenciement devait être calculée sur la base de sa rémunération à temps plein, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 3123-5, alinéas 3 et 5, du code du travail et l’article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :

4. Aux termes de l’article L. 3123-5, alinéa 3, du code du travail, compte tenu de la durée de son travail et de son ancienneté dans l’entreprise, la rémunération du salarié à temps partiel est proportionnelle à celle du salarié qui, à qualification égale, occupe à temps complet un emploi équivalent dans l’établissement ou l’entreprise.

5. Selon l’article L. 3123-5, alinéa 5, de ce code, l’indemnité de licenciement du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise est calculée proportionnellement aux périodes d’emploi accomplies selon cette modalité depuis son entrée dans l’entreprise.

6. Aux termes de l’article 157 du Traité FUE, chaque État membre assure l’application du principe d’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et féminins pour un même travail ou un travail de même valeur.

7. Par arrêt du 8 mai 2019 (CJUE, Praxair MRC, C-486/18), la Cour de justice de l’Union européenne, saisie par la Cour de cassation d’une question préjudicielle (Soc., 11 juillet 2018, n° 16-27.825), a d’abord relevé que des prestations telles que l’indemnité de licenciement et l’allocation de congé reclassement devaient être qualifiées de « rémunérations » au sens de l’article 157 du Traité FUE. Elle a ensuite dit pour droit que cet article devait être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation qui prévoit que, lorsqu’un travailleur engagé à durée indéterminée et à temps plein est licencié au moment où il bénéficie d’un congé parental à temps partiel, ce travailleur reçoit une indemnité de licenciement et une allocation de congé de reclassement déterminées au moins en partie sur la base de la rémunération réduite qu’il perçoit quand le licenciement intervient, dans la situation où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes choisissent de bénéficier d’un congé parental à temps partiel et lorsque la différence de traitement qui en résulte ne peut pas s’expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

8. Il résulte des points 77 et 78 de l’arrêt du 8 mai 2019 (CJUE, Praxair MRC, C-486/18) que la constatation, qui s’applique dans le cadre de l’article 157 du Traité FUE, selon laquelle, s’agissant du droit à des prestations telles que l’indemnité de licenciement, la situation d’un travailleur en congé parental à temps partiel, au regard de telles prestations, est comparable à celle d’un travailleur à temps plein se rapporte aux seuls travailleurs engagés dans le cadre d’un contrat de travail à temps plein qui bénéficient d’un congé parental à temps partiel.

9. Pour fixer à certains montants les indemnités de rupture, l’arrêt retient que la salariée peut prétendre à une indemnité pour licenciement nul qui ne peut être inférieure au montant brut des salaires qu’elle a perçus pendant les six derniers mois, l’intimée soulignant à ce titre qu’elle perçoit en dernier lieu une rémunération au titre d’un temps partiel, avec un salaire moyen de référence de 1 571,20 euros qui sera retenu.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, à la date à laquelle la salariée a bénéficié d’un congé parental à temps partiel, celle-ci n’était pas engagée dans le cadre d’un contrat de travail à temps plein, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)