Il est intéressant de revenir à l’occasion d’un récent arrêt de la Cour de cassation (ci-dessous reproduit par extraits), sur la qualification judiciaire de la sanction disciplinaire. Cette dernière n’est pas définie par la Loi, mais les articles L.1332-1 et suivants du Code du travail imposent à l’employeur le respect d’une procédure formelle, se terminant par la notification de sa décision disciplinaire : la sanction est donc impérativement écrite.
Sur la base de ces textes, la jurisprudence sociale qualifie de sanction disciplinaire, et ce quelle que soit la qualification contraire retenue par l’employeur, tout écrit comminatoire notifié au salarié. Les rappels à l’ordre, de consignes, lettre de recadrage etc. excédant justement le rappel des instructions en vigueur dans l’entreprise, par le reproche de ne pas les respecter et/ou la menace de sanctionner tout nouveau manquement, sont donc requalifiés de sanction disciplinaire.
Cela peut avoir de graves conséquences pour l’entreprise employeur, car ces messages comminatoires purgent tout le passé disciplinaire de l’intéressé, et empêchent donc de s’y référer pour sanctionner ultérieurement une faute non-mentionnée dans ledit message. L’employeur tente par conséquent souvent (mais souvent en vain…) de s’opposer à cette qualification par le Juge.
Dans le cas d’espèce en revanche, c’est le salarié qui prétendait qu’une lettre d’observations ne pouvait pas être considérée comme un avertissement disciplinaire. Il y avait intérêt car la Convention collective applicable à l’entreprise, conditionnait à deux sanctions antérieures, le licenciement disciplinaire : si ladite lettre d’observation échappait à cette qualification, son licenciement devait pour cette raison être jugé abusif.
En principe, le caractère absolu du pouvoir de direction interdit en effet au Juge de requalifier un écrit notifié par l’employeur de sanction disciplinaire, quand il en est de l’intérêt du salarié : le principe de faveur protège efficacement ce dernier. Or en l’espèce ce sont les dispositions conventionnelles qui affectent la « lettre d’observation » de sa qualification disciplinaire : le Juge ne pouvait que confirmer celles-ci.
En revanche, et même si la solution retenue ici par la Chambre sociale conduit en définitive au débouté du salarié, il est pareillement affirmé que si ces dispositions conventionnelles imposent l’organisation par l’employeur d’un entretien préalable à la notification d’un simple avertissement, alors même que la Loi l’en exonère, le non-respect de cette garantie de fond entraîne la nullité de la sanction. Dans l’hypothèse qui était jugée, cela aurait pu conduire à disqualifier le licenciement … si toutefois le salarié avait formalisé expressément cette demande d’annulation !
Cour de cassation, Chambre sociale, 22 septembre 2021 (pourvoi n° 18-22.204, publié au Bulletin)
1. Selon l’arrêt attaqué (Lyon, 30 mars 2018), M. [V] a été engagé le 1er octobre 2013 par l’association [Adresse 3] en qualité de chef de service éducatif. Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.
2. Le salarié a été licencié pour motif personnel le 13 mai 2015. Le 1er juillet 2015, l’employeur a mis fin à l’exécution du préavis en se prévalant d’une faute grave commise par le salarié.
3. Contestant ces mesures, le salarié a saisi la juridiction prud’homale.
Examen des moyens
(…)
5. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes tendant à ce que son licenciement soit dit sans cause réelle et sérieuse et que l’employeur soit condamné à lui payer des dommages-intérêts à ce titre, alors « que constitue une sanction disciplinaire toute mesure autre que des observations verbales prises par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif ; qu’en retenant que le courrier adressé au salarié le 4 mars 2015 constituait une sanction quand ce courrier se bornait à lui demander d’adopter un mode de travail plus collectif et à définir plusieurs mesures en ce sens, la cour d’appel a violé l’article L. 1331-1 du code du travail et l’article 33 de la convention collective des établissements pour personnes inadaptées et handicapées. »
Réponse de la Cour
6. La cour d’appel, qui a constaté que le courrier du 4 mars 2015 adressé au salarié, intitulé « lettre de cadrage », articulait trois séries de griefs, et appelait de sa part un certain nombre de correctifs, a décidé à bon droit qu’il constituait une observation au sens de l’article 33 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 et donc une sanction disciplinaire.
7. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. Le salarié fait les mêmes griefs à l’arrêt, alors « que doit être précédée d’un entretien préalable toute sanction de nature à avoir une influence sur le maintien du salarié dans l’entreprise ; qu’une sanction est susceptible d’avoir une influence sur le maintien du salarié dans l’entreprise lorsque la convention collective applicable prévoit que sauf faute grave un salarié ne peut être licencié s’il n’a pas été sanctionné au moins à deux reprises ; qu’en retenant que, nonobstant l’absence d’entretien préalable, les lettres d’observations adressées au salarié le 24 février et le 4 mars 2015 constituaient des sanctions régulières quand la convention collective des établissements pour personnes inadaptées et handicapées dispose que sauf faute grave un salarié ne peut être licencié s’il n’a pas fait l’objet au préalable d’au moins deux sanctions, la cour d’appel a violé l’article L. 1332-2 du code du travail et l’article 33 de la convention collective des établissements pour personnes inadaptées et handicapées. »
Réponse de la Cour
9. Aux termes de l’article L. 1332-2 du code du travail lorsque l’employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l’objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n’ayant pas d’incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié.
10. Aux termes de l’article L. 1333-2 du même code, le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
11. Selon l’article 33 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, d’une part, les mesures disciplinaires applicables aux personnels des établissements ou services sont l’observation, l’avertissement, la mise à pied avec ou sans salaire pour un maximum de trois jours et le licenciement. D’autre part, sauf en cas de faute grave, il ne pourra y avoir de mesure de licenciement à l’égard d’un salarié si ce dernier n’a pas fait l’objet précédemment d’au moins deux des sanctions précitées prises dans le cadre de la procédure légale.
12. S’il résulte du premier de ces textes que l’employeur n’est en principe pas tenu de convoquer un salarié à un entretien avant de lui notifier un avertissement ou une sanction de même nature, il en va autrement lorsque des dispositions d’une convention collective, instituant une garantie de fond, subordonnent le licenciement d’un salarié à l’existence de deux sanctions antérieures.
13. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que le 24 février et le 4 mars 2015, l’intéressé a fait l’objet de deux observations constitutives de sanctions disciplinaires qui, en l’absence de dispositions conventionnelles contraires, ne nécessitaient pas d’entretien préalable et que ces deux sanctions disciplinaires régulières pouvaient ouvrir la voie à l’engagement d’une procédure de licenciement.
14. Si c’est à tort que la cour d’appel a statué ainsi, alors que la convention collective précitée subordonnait le licenciement à l’existence de deux sanctions antérieures pouvant être notamment une observation, en sorte que l’employeur était tenu de convoquer le salarié à un entretien préalable avant de lui notifier les deux sanctions qui étaient de nature à avoir une incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise du salarié au sens de l’article L. 1332-2 du code du travail, de sorte qu’il appartenait à la juridiction prud’homale d’apprécier si ces sanctions irrégulières en la forme devaient être annulées, la cour d’appel n’encourt pas toutefois le grief du moyen dès lors qu’il résulte du dispositif des conclusions du salarié que celui-ci ne demandait pas l’annulation des sanctions disciplinaires.
15. Il en résulte que le moyen est inopérant.
(…)
PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)
Commentaires récents