L’on sait que le licenciement pour motif économique est dénué de cause réelle et sérieuse, si les difficultés économiques invoquées par l’employeur résultent de sa fraude ou de son erreur grave de gestion. Par ailleurs la procédure collective ouverte au profit d’une entreprise, peut conduire à la mise en cause de son dirigeant si elle est, là encore, due à la fraude de ce dernier : le passif sera étendu à son patrimoine personnel, et il risque une condamnation pénale, notamment du chef de banqueroute.

L’arrêt signalé du 4 juillet 2018 rend compte des difficultés qui peuvent apparaître pour le salarié dans le cadre de ce type de fraude. En effet dans le cadre du redressement judiciaire d’une entreprise, le Juge commissaire peut autoriser le mandataire judiciaire à licencier le personnel pour motif économique.

Il va donc procéder à une analyse de la situation de l’entreprise employeur, et motiver son ordonnance en conséquence : cette décision judiciaire peut alors le cas échéant faire l’objet d’un recours. Dès lors que l’ordonnance est définitive, en revanche, et que le mandataire l’exécute régulièrement, le motif économique de licenciement ne peut par conséquent plus être discuté devant le Conseil de Prud’hommes.

En l’espèce le dirigeant de la société employeur avait délibérément conduit l’entreprise vers la liquidation judiciaire, en transférant son activité vers une autre société opportunément créée : il avait d’ailleurs été pénalement condamné pour banqueroute. Les salariés contestaient donc devant la juridiction prud’homale les licenciements antérieurement autorisés par le Juge commissaire.

La Chambre sociale les déclare exceptionnellement recevables en leur action, en raison des conséquences que l’on pouvait tirer de la fraude commise par l’entreprise employeur (même si la société liquidée reste techniquement d’une part seul employeur juridique, et d’autre part victime de la fraude infractionnelle de son dirigeant). En revanche, et même au titre d’un éventuel préjudice distinct de la seule perte illégitime de l’emploi à la suite du licenciement sans cause réelle et sérieuse, les salariés ne peuvent réclamer aucune indemnisation spécifique du fait de la fraude commise par le dirigeant : selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, ils ne peuvent en effet pas se constituer partie civile dans le cadre de ce type de poursuite pénale.

Cour de cassation, chambre sociale, 4 juillet 2018 (pourvoi n° 16-27.922,publié au bulletin)
(…)

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que MM. Daniel et Julien Y… et M. A…, ainsi que feu Jean-François Z…, étaient salariés de la société Pierre Houchard menuisier agenceur, dirigée par M. M… , et dont l’objet social était l’agencement de magasins, cuisines, salles de bains ; que la société a été reprise par la société Holding Financière Lévesque, créée par M. M… , laquelle a également pour filiale la société nouvelle Atelier 41 ; que le 8 octobre 2007, M. M… a déclaré l’état de cessation des paiements de la société Pierre Houchard menuisier agenceur ; qu’un plan de redressement a été déposé et homologué et M. B… a été nommé commissaire à son exécution ; que, le 1er décembre 2009, le tribunal de commerce en a prononcé la résolution ; que, par ordonnance du 18 décembre 2009, le juge-commissaire a autorisé le licenciement pour motif économique des vingt salariés de la société Pierre Houchard menuisier agenceur ; que, le 4 juillet 2011, M. M… a été déclaré coupable notamment du délit de banqueroute au motif notamment qu’il avait pris délibérément la décision de ne plus poursuivre l’activité de la société Pierre Houchard menuisier agenceur dont il avait provoqué la mise en liquidation judiciaire en en transférant la clientèle et 2 200 000 euros de chiffre d’affaires à la société nouvelle Atelier 41 ; que les salariés précités, ainsi que Mmes X… et Z…, en leur qualité d’ayants droit de feu Jean-François Z…, ont alors, les 7 juin et 24 juillet 2012, saisi la juridiction prud’homale pour contester leur licenciement et obtenir des dommages-intérêts pour licenciements sans cause réelle et sérieuse et exécution déloyale de leur contrat de travail ;

Sur le second moyen :

Attendu que les salariés ou leurs ayants droit font grief à l’arrêt de les débouter de leur demande de dommages-intérêts pour faillite frauduleuse, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour rejeter la demande de dommages-intérêts pour faillite frauduleuse et exécution déloyale du contrat de travail, la cour d’appel a retenu en substance que les salariés invoquait un manquement de leur employeur, la société Pierre Houchard Menuisier Agenceur, qu’ils ne pouvaient donc se prévaloir du délit de banqueroute personnellement commis par le dirigeant de l’entreprise, M. M… , dont la société Pierre Houchard Menuisier Agenceur était d’ailleurs elle-même personne morale victime, mais qu’ils devaient démontrer un manquement ou une faute commise par la société Pierre Houchard Menuisier Agenceur elle-même, qui serait à l’origine de la faillite frauduleuse et qui leur aurait causé un préjudice distinct de celui résultant de la perte de leurs emplois ; qu’en statuant ainsi lorsqu’il résulte de l’arrêt que les parties avaient repris oralement à l’audience leurs conclusions écrites et que celles-ci ne contenaient pas un tel moyen, la cour d’appel qui a soulevé d’office ce moyen sans avoir recueilli les observations des parties sur ce point, a violé l’article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que les salariés peuvent prétendre à des dommages-intérêts pour faillite frauduleuse et exécution déloyale du contrat de travail leur ayant causé un préjudice distinct de celui relatif au licenciement illégitime si leur employeur a organisé ses propres difficultés économiques ayant conduit à la liquidation de la société et partant, à leurs licenciements ; que tel est le cas lorsque le dirigeant de la société employeur a commis des agissements frauduleux qui sont la cause de sa liquidation ; que pour débouter les salariés de leur demande de dommages-intérêts pour faillite frauduleuse, la cour d’appel a retenu que si le dirigeant de la société Pierre Houchard Menuisier Agenceur avait personnellement commis un délit de banqueroute pour avoir décidé de ne plus poursuivre l’activité de sa société, de la sacrifier en transférant ses clients et son chiffre d’affaires à une autre société dont il était également le dirigeant, les salariés n’invoquaient ni ne démontraient aucun manquement ou faute commise par la société Pierre Houchard Menuisier Agenceur elle-même, employeur, qui leur aurait causé un préjudice distinct de celui résultant de la perte de leurs emploi ; qu’en statuant ainsi lorsque les agissements frauduleux du dirigeant de la société Pierre Houchard Menuisier Agenceur ayant conduit à la liquidation de cette société permettaient aux salariés de se prévaloir d’un manquement de leur employeur à son obligation d’exécuter de bonne foi les contrats de travail qui leur avait causé un préjudice distinct de celui résultant de la perte de leur emploi, la cour d’appel a violé l’article L. 1222-1 du code du travail et les articles 1134 et 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;

Mais attendu qu’ayant constaté, sans méconnaître le principe de contradiction, que n’était pas établi un manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail par la société Pierre Houchard menuisier agenceur causant aux salariés un préjudice distinct de celui résultant de la perte de leur emploi, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

Mais sur le premier moyen :

Vu les articles L. 1233-2, L. 1235-1 et L. 1235-3 du code du travail, dans leur version applicable au litige ;

Attendu que pour débouter les salariés ou leurs ayants droit de leurs demandes de dommages-intérêts pour licenciements sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que pour soutenir qu’ils sont recevables et bien-fondés à faire déclarer leurs licenciement injustifiés, les salariés font valoir que les autorisations de licencier ont été obtenues par fraude du fait des agissements du dirigeant de l’entreprise ayant provoqué la liquidation judiciaire de la société et pénalement réprimés postérieurement à l’ouverture de la procédure collective ; qu’en présence d’une autorisation de licenciements économiques définitivement donnée par le juge-commissaire au liquidateur pendant la période de maintien de l’activité de l’entreprise, le contrôle de la cause économique des licenciements et de son caractère réel et sérieux relève de la compétence du juge de la procédure collective, en sorte que sous couvert d’invoquer une irrégularité de fond dont serait entachée l’ordonnance en raison d’une présentation inexacte faite par le dirigeant au juge-commissaire de l’origine des difficultés économiques, les salariés tentent en réalité de discuter devant le juge prud’homal le bien-fondé de la cause économique de leurs licenciements, ce qu’ils sont irrecevables à faire ;

Attendu cependant, que le salarié licencié en vertu d’une autorisation par ordonnance du juge-commissaire, est recevable à contester la cause économique de son licenciement lorsqu’il prouve que cette autorisation résulte d’une fraude ;

Qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE (…)