La réglementation sociale prévoit la possibilité pour l’employeur de préciser (et non de compléter) le motif de licenciement, dans un délai de quinze jours après la notification de la lettre de licenciement (ou après la demande expresse du salarié). Dans ce contexte, le Juge pourra statuer sur le caractère imprécis de la motivation de la lettre de licenciement, dans l’hypothèse où l’employeur n’aura pas exercé cette faculté.

La jurisprudence sociale disqualifie la rupture si le motif économique de licenciement n’a pas été notifié au salarié avant qu’il n’adhère au Contrat de Sécurisation Professionnelle (CSP), dont la documentation lui est remise au plus tard le jour de l’entretien préalable. C’est la raison pour laquelle il est conseillé à l’entreprise initiant une procédure de licenciement économique, de mentionner le motif sur la convocation à entretien préalable, ou sur le courrier transmettant la documentation relative au CSP.

La Cour de cassation fait une extension de la faculté laissée à l’employeur de préciser cette motivation économique, dans les 15 jours de l’adhésion du salarié au CSP : cela peut permettre en particulier d’indiquer si le poste a été supprimé ou transformé. Mais cela ne permettra pas à l’employeur ayant omis de mentionner un motif (même imprécis) de licenciement antérieurement à ladite adhésion, de régulariser la procédure.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 5 avril 2023 (pourvoi n° 21-18.636 etc., publié au Bulletin)

1°/ Mme [J] [D] [I], domiciliée [Adresse 4],

2°/ Mme [C] [M], domiciliée [Adresse 7],

ont formé respectivement les pourvois n° R 21-18.636 et S 21-18.637 contre deux arrêts rendus le 27 avril 2021 par la cour d’appel d'[Localité 5] (chambre sociale), dans les litiges les opposant :

1°/ à l’association [6], dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société BTSG, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [P] [Z], en qualité de liquidateur de l’association [6],

3°/ à l’UNEDIC AGS CGEA Ile-de-France Ouest, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.
(…)

Faits et procédure

3. Selon les arrêts attaqués ([Localité 5], 27 avril 2021), Mmes [M] et [D] [I] ont été engagées respectivement les 31 décembre 1993 et 15 mai 2001 en qualité de secrétaires par l’association [6] (l’association). Dans le dernier état des relations contractuelles, elles occupaient les fonctions de secrétaires de direction.

4. Après avoir été convoquées par lettres du 3 septembre 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, qui s’est tenu le 21 septembre 2018, elles ont adhéré le 27 septembre 2018 au contrat de sécurisation professionnelle qui leur avait alors été proposé, de sorte que la rupture de leur contrat de travail est intervenue le 12 octobre 2018.

5. Elles ont saisi la juridiction prud’homale d’une contestation de la rupture de leur contrat de travail.

6. L’association a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 20 juin 2020, M. [Z] étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Les salariées font grief aux arrêts de dire que leur licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et de les débouter de leur demande de dommages-intérêts à ce titre, alors :

« 1°/ que l’adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle emporte rupture du contrat de travail et que l’employeur doit énoncer le motif économique ainsi que la mention du bénéfice de la priorité de réembauche soit dans le document écrit d’information sur ce dispositif remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement, soit dans la lettre qu’il est tenu d’adresser au salarié lorsque le délai de réponse expire après le délai d’envoi de la lettre de licenciement imposé par les articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du code du travail, soit encore, lorsqu’il n’est pas possible à l’employeur d’envoyer cette lettre avant l’acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle, dans tout autre document écrit, porté à sa connaissance au plus tard au moment de son acceptation, à défaut de quoi le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que pour débouter les salariées de leurs demandes de dommages et intérêts au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, la cour d’appel a retenu que celles-ci se sont vu remettre le 21 septembre 2018, jour de l’entretien préalable et avant leur adhésion au dispositif, un document d’information sur le dispositif du contrat de sécurisation professionnelle et un courrier spécifiant les motifs économiques de la rupture, et que la  »précision » quant à la suppression des postes de travail des salariées avait été apportée dans  »la lettre de licenciement » du 9 octobre 2018 intervenue avant l’expiration du délai de réflexion ; qu’en se déterminant ainsi, alors qu’il lui appartenait de rechercher si la date à laquelle les salariées avaient adhéré au contrat de sécurisation professionnelle n’était pas antérieure à la lettre du 9 octobre 2018 qui les informait de la suppression de leurs postes, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1233-3, L. 1233-65 et L. 1233-67 du code du travail ;

2°/ qu’en vertu de l’article L. 1235-2 du code du travail, les motifs énoncés dans la lettre de licenciement prévue aux articles L. 1232-6, L. 1233-16 et L. 1233-42 du même code peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l’employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil d’Etat ; que la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement ; que pour débouter les salariées de leurs demandes de dommages et intérêts au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, la cour d’appel a retenu que celles-ci se sont vu remettre le 21 septembre 2018, jour de l’entretien préalable et avant leur adhésion au dispositif, un courrier spécifiant les motifs économiques de la rupture, et qu’une  »précision » quant à la suppression de leurs postes de travail leur avait été apportée dans  »la lettre de licenciement » du 9 octobre 2018 ; qu’en statuant ainsi, alors que la mention de la suppression du poste ne constitue pas une précision du motif économique, mais la conséquence sur l’emploi ou le contrat de travail de la salariée de la cause économique invoquée, la cour d’appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1235-2 du code du travail ;

3°/ que l’adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle emporte rupture du contrat de travail ; que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement prévue aux articles L. 1232-6, L. 1233-16 et L. 1233-42 du code du travail peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l’employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil d’État ; que dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement et par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé, l’employeur peut, à son initiative, préciser les motifs du licenciement ; qu’en cas d’adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle, le document par lequel l’employeur a informé celui-ci du motif économique de la rupture envisagée et lui a proposé d’adhérer au contrat fait courir, à l’encontre de l’employeur, le délai d’exercice de cette faculté de préciser le motif économique invoqué ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que les salariées s’étaient vu remettre le 21 septembre 2018, jour de l’entretien préalable, et avant leur adhésion au dispositif, un document d’information sur le dispositif du contrat de sécurisation professionnelle ainsi qu’un courrier spécifiant les motifs économiques de la rupture ; qu’il en résulte que le délai dont disposait l’employeur pour, le cas échéant, préciser le motif, qui avait commencé à courir à compter du 21 septembre, était expiré à la date du 9 octobre 2018 ; qu’en prenant néanmoins en compte la  »précision » apportée par l’employeur dans la  »lettre de licenciement » du 9 octobre, soit après l’expiration du délai, la cour d’appel a violé les articles L. 1233-67, L. 1235-2 et R. 1233-2-2 du code du travail ;

4°/ que, les motifs énoncés dans la lettre de licenciement prévue aux articles L. 1232-6, L. 1233-16 et L. 1233-42 du code du travail peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l’employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil d’État ; qu’à défaut pour le salarié d’avoir formé auprès de l’employeur une demande en application de l’alinéa premier, l’irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire ; qu’en déboutant les salariées de leurs demandes de dommages-intérêts au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement aux motifs que l’éventuelle insuffisance de motivation du courrier du 21 septembre 2018 ne saurait priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, et qu’elles ne formulaient aucune demande au titre de l’irrégularité tirée de l’insuffisance de motivation de la lettre de licenciement, quand il lui appartenait de rechercher si l’irrégularité tirée de l’insuffisance de motivation du document remis aux salariées le 21 septembre 2018, ne leur avait pas causé un préjudice ouvrant droit à l’allocation d’une indemnité ne pouvant excéder un mois de salaire, la cour d’appel qui a méconnu son office a violé les articles L. 1235-2 du code du travail et 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. D’abord, il résulte de l’article 4 de la convention Unédic relative au contrat de sécurisation professionnelle du 26 janvier 2015, agréée par arrêté du 16 avril 2015, et des articles L. 1233-65, L. 1233-66 et L. 1233-67 du code du travail que la rupture du contrat de travail résultant de l’acceptation par le salarié d’un contrat de sécurisation professionnelle doit avoir une cause économique réelle et sérieuse. L’employeur est en conséquence tenu d’énoncer le motif économique de la rupture du contrat dans un écrit remis ou adressé au salarié au cours de la procédure de licenciement et au plus tard au moment de son acceptation.

9. Ensuite, selon l’article L. 1235-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, les motifs énoncés dans la lettre de licenciement prévue aux articles L. 1232-6, L. 1233-16 et L. 1233-42 peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l’employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil d’Etat. La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement.

10. Enfin, aux termes de l’article R. 1233-2-2 du code du travail, dans les quinze jours suivant la notification du licenciement, le salarié peut, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé, demander à l’employeur des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. L’employeur dispose d’un délai de quinze jours après la réception de la demande du salarié pour apporter des précisions s’il le souhaite. Il communique ces précisions au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement et selon les mêmes formes l’employeur peut, à son initiative, préciser les motifs du licenciement.

11. Il s’en déduit que, lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l’acceptation par le salarié d’un contrat de sécurisation professionnelle, le document par lequel l’employeur informe celui-ci du motif économique de la rupture envisagée peut être précisé par l’employeur, soit à son initiative, soit à la demande du salarié, dans le délai de quinze jours suivant l’adhésion de ce dernier au dispositif.

12. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, les arrêts, qui ont constaté que l’employeur avait, de sa propre initiative, précisé que les difficultés économiques invoquées dans les documents d’information remis aux salariées le 21 septembre 2018, avaient pour conséquence la suppression de leur poste de travail, par lettre du 9 octobre 2018, soit dans les 15 jours courant à compter de leur acceptation le 27 septembre 2018 du contrat de sécurisation professionnelle, se trouvent légalement justifiés en ce qu’ils déboutent les salariées de leur demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

13. Le moyen, qui est inopérant en sa quatrième branche, n’est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)