La Cour de cassation vient de jeter le doute quant à l’appréciation de l’obligation de recherche de reclassement à la charge de l’employeur, en cas d’inaptitude physique du salarié. En effet la mention portée sur l’avis d’inaptitude par le médecin du travail, peut conduire à disqualifier le licenciement alors même que le salarié est déclaré inapte à tout poste dans l’entreprise.

Déjà précédemment la Chambre sociale avait imposé à l’employeur de rechercher un tel reclassement dans le groupe au sein duquel est intégrée l’entreprise, si le médecin du travail limitait expressément l’inaptitude au périmètre de l’entreprise elle-même. Cette aggravation de la responsabilité de l’employeur peut s’expliquer concrètement, et il s’agit alors pour le médecin du travail de préciser cette recommandation médicale de reclassement dans son avis.

Or dans un arrêt du 13 septembre dernier, cette obligation de rechercher un reclassement, dès lors que la mention figurant sur l’avis indique  » Tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise… », s’impose sans que l’entreprise ne soit intégrée dans un groupe. A défaut le licenciement est automatiquement réputé sans cause réelle et sérieuse.

Bien entendu on ne peut que s’interroger sur la logique gouvernant cette décision, et la jurisprudence pourrait à l’avenir préciser le champ ou les modalités de cette recherche de reclassement hors de l’entreprise, alors même que l’obligation légale ne vise pas le reclassement externe. En attendant, il convient de mettre en oeuvre formellement, en la traçant à des fins probatoires, l’étude des possibilités de reclassement.

Or sur ce point l’une des opérations est objectivement appréciable, et donc redoutable pour l’employeur : il convient en effet de consulter les représentants élus du personnel, sur les recherche de reclassement entreprises. A défaut en tout état de cause, et quelle que soit l’appréciation des efforts de l’employeur, le licenciement sera jugé abusif.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 13 septembre 2023 (pourvoi n° 22-12.970, publié au Bulletin)

L’Etablissement public de sécurité ferroviaire, établissement public national à caractère administratif, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 22-12.970 contre l’arrêt rendu le 6 janvier 2022 par la cour d’appel d’Amiens (5e chambre prud’homale), dans le litige l’opposant à M. [Z] [R], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
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Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Amiens, 6 janvier 2022), M. [R] a été engagé le 21 avril 2011 par l’Etablissement public de sécurité ferroviaire en qualité d’administrateur de base de données incidents.

2. Placé en arrêt de travail pour maladie non professionnelle à compter du 5 janvier 2015, il a été déclaré inapte suivant avis du médecin du travail du 23 août 2017 rédigé en ces termes : « Inapte. Étude de poste, étude des conditions de travail et échanges entre le médecin du travail et l’employeur réalisés le 16 août 2017. Tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ».

3. Licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 18 septembre 2017, le salarié a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.
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Enoncé du moyen

5. L’employeur fait grief à l’arrêt de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer au salarié des sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, alors « qu’aux termes de l’article L. 1226-2-1 du code du travail, l’employeur peut rompre le contrat de travail s’il justifie, notamment, de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ; que ce texte concerne le maintien du salarié dans un emploi au sein de l’entreprise employeur et n’implique pas que le médecin du travail fasse mention de ce que le maintien du salarié dans un emploi, quel qu’il soit, même en dehors de l’entreprise, serait gravement préjudiciable à sa santé ; que l’avis d’inaptitude concernant M. [R] émis par le médecin du travail mentionnait que  »tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé » ; qu’en retenant que, dans la mesure où les termes employés par le médecin du travail n’impliquaient pas l’éloignement du salarié de toute situation de travail, ils ne dispensaient pas l’employeur de procéder à des recherches de reclassement et de consulter les délégués du personnel, et que, par suite, le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a violé l’article L. 1226-2-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l’article L. 1226-2-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 que l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

7. Il s’ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l’employeur n’est pas tenu de rechercher un reclassement.

8. L’arrêt constate que l’avis d’inaptitude du médecin du travail mentionne que tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé et non pas que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à santé.

9. La cour d’appel en a exactement déduit que l’employeur n’était pas dispensé de procéder à des recherches de reclassement et de consulter les délégués du personnel et qu’il avait ainsi manqué à son obligation de reclassement.

PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)