Aux nullités du licenciement expressément prévues par le Code du travail (par ex. en matière de discrimination, harcèlements, protection des représentants du personnel etc.), la Jurisprudence ajoute d’autres hypothèses, lorsque la rupture est motivée par une atteinte à l’exercice d’une liberté fondamentale du salarié. Ainsi en est-il lorsque le licenciement (ou la sanction disciplinaire) est décidée en rétorsion de l’action judiciaire diligentée par le salarié.

Le droit de ce dernier à accéder librement au procès, interdit en effet selon la Cour de cassation, toute décision de l’employeur visant à contraindre cette liberté. Mais aucun aménagement de l’action en nullité ouverte de façon prétorienne au salarié, n’accompagne cette extension.

Ainsi par exemple lorsqu’un salarié dénonce ou témoigne de faits de harcèlement qu’il peut sans mauvaise foi estimer avérés, la règlementation sociale impose la nullité du licenciement motivé par cette dénonciation fallacieuse, sans que le salarié n’ait à démontrer l’intention de nuire de l’employeur. Cette solution n’est toutefois pas applicable aux nullités d’origine prétorienne.

La Chambre sociale opère ce rappel dans l’arrêt ci-dessous reproduit, dans une affaire où le licenciement était concomittant à l’engagement d’une action prud’homale par le salarié. Ce dernier ne rapportant pas la preuve de la rétorsion qu’il invoquait, et la lettre de rupture étant motivée par des faits objectifs par ailleurs tant avérés, que distincts de l’action judiciaire, la nullité ne pouvait être encourue.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 17 mai 2023 (pourvoi n° 22-15.143, inédit)

M. [J] [I], domicilié [Localité 2] (États-unis), a formé le pourvoi n° Q 22-15.143 contre l’arrêt rendu le 3 février 2022 par la cour d’appel de Paris (pôle 6,chambre 8), dans le litige l’opposant à la société BNP PARIBAS, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 3 février 2022), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 26 février 2020, pourvoi n° 18-14.153), M. [I] a été engagé le 14 mars 1995 par la société BNP, aux droits de laquelle est venue la société BNP Paribas, en qualité de rédacteur principal.

2. Il a été détaché à la succursale de New-York à compter du 1er septembre 2001, selon avenants successifs stipulant qu’à l’issue de son détachement il serait réintégré au sein de la société à [Localité 3], l’employeur ayant mis un terme au dernier détachement par lettre du 13 mars 2012, avec effet au 1er mai 2012.

3. Le salarié a saisi la juridiction prud’homale le 13 avril 2012, l’audience de conciliation ayant lieu le 2 octobre 2012, puis a présenté une demande de résiliation judiciaire le 10 juin 2013.

4. Par lettre du 25 octobre 2012, il a été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement, lequel lui a été notifié le 10 décembre 2012 pour faute grave au motif de son absence injustifiée depuis le 2 mai 2012.

(…)

6. Le salarié fait grief à l’arrêt de juger que son licenciement n’était pas nul et de le débouter de l’ensemble des demandes qu’il avait présentées à ce titre, alors :

« 1°/ que pour pouvoir juger si un licenciement procède d’une atteinte à la liberté fondamentale d’agir en justice, les juges, qui sont saisis au fond et non pas en référé, doivent d’abord statuer sur les motifs du licenciement invoqués par l’employeur ; que pour juger que la relation de cause à effet entre l’action en justice de M. [I] et son licenciement n’était pas établie, la cour a relevé que si M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes le 13 avril 2012 et que la procédure de licenciement a été engagée le 25 octobre 2012, un mois après l’audience de conciliation, la procédure de licenciement a été régulièrement suivie, que la lettre de licenciement ne contient aucune référence à l’action engagée par le salarié, qu’elle est motivée en ce qu’elle contient un exposé de faits circonstanciés, dont il appartient à la cour de déterminer s’ils présentent un caractère réel et sérieux, et que M. [I] ne justifie pas d’un trouble manifestement illicite ; qu’en refusant de se prononcer préalablement sur le motif de licenciement invoqué par l’employeur, alors même qu’elle était saisie au fond et non en référé, la cour d’appel ne pouvait donc juger si le licenciement de M. [I] était ou non lié à son action en justice et a donc, en statuant comme elle l’a fait, violé les articles L. 1221-1 du code du travail et 6 § 1 de la convention européenne des droits de l’homme ;

2°/ que pour établir que son licenciement a été prononcé en raison de son action en justice, M. [I] a soutenu que son employeur était au courant de son absence depuis le 2 mai 2012 et qu’il n’a engagé sa procédure de licenciement pour faute grave que le 25 octobre 2012 en raison de l’audience du bureau de conciliation du 2 octobre 2012 ; que pour dire qu’il n’y avait pas de faute grave, la cour d’appel a elle-même affirmé que  »la procédure de licenciement initiée le 25 octobre 2012 apparaît comme tardive et ne peut être justifiée, ni par le refus de M. [I] de respecter ses dispositions contractuelles après la fin de son détachement, ni par des vérifications nécessaires quant à la faute commise et qui était constituée dès le 2 mai 2012 (…) » ; qu’en statuant comme un juge des référés sur le lien entre l’action en justice introduite par M. [I] et son licenciement, la cour d’appel n’a donc pas pu tirer les conséquences qui s’imposaient de ses propres constatations sur le fond et qui auraient dû, à tout le moins, l’amené à rechercher, si, comme l’y invitait M. [I], l’engagement (tardif) de la procédure de licenciement n’était pas justifié par l’audience devant le bureau de conciliation ; la cour d’appel a de nouveau violé les articles L. 1221-1 du code du travail et 6 § 1 de la convention européenne des droits de l’homme. »

Réponse de la Cour

7. Le seul fait qu’une action en justice exercée par le salarié soit contemporaine d’une mesure de licenciement ne fait pas présumer que celle-ci procède d’une atteinte à la liberté fondamentale d’agir en justice.

8. Lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits.

9. La cour d’appel a, d’abord, constaté que si la procédure de licenciement avait été engagée le 25 octobre 2012, soit un mois après l’audience de conciliation devant le conseil des prud’hommes, la procédure de licenciement avait été régulièrement suivie, que la lettre de licenciement ne contenait aucune référence à l’action engagée par le salarié, qu’elle était motivée en ce qu’elle contenait un exposé de faits circonstanciés, dont il lui appartenait de déterminer s’ils présentent un caractère réel et sérieux, et que les deux parties avaient précisément fait valoir leurs droits dans le cadre de la même procédure dont l’objet était justement l’imputabilité de la rupture du lien contractuel eu égard au refus du salarié de rejoindre le nouveau poste qui lui avait été proposé à la suite de la fin de son détachement à New-York.

10. Elle a, ensuite, relevé, par des motifs qui ne sont pas critiqués, que les faits invoqués dans la lettre de licenciement étaient établis.

11. De ces constatations et énonciations, dont il ressortait que le salarié n’établissait pas qu’il avait été licencié en raison de l’action en justice engagée à l’encontre de son employeur, la cour d’appel en a exactement déduit que le licenciement n’était pas nul.

12. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)