L’organisation des élections professionnelles, qui initie en pratique les relations sociales dans l’entreprise, est une obligation spontannée à la charge de l’employeur lorsque les conditions en sont réunies. A défaut il commet un délit d’entrave, puni dans cette hypothèse d’une peine d’emprisonnement et/ou d’amende.

Mais les poursuites sont rares en l’occurence, et il peut alors être tentant de ne pas permettre la désignation de représentants du personnel, interlocuteurs mais aussi contre-pouvoirs de la Direction. Or les conséquences de cette inertie peuvent être sévères, sur le plan prud’homal.

On sait en effet que le salarié qui demande l’organisation des élections, peut bénéficier de la protection contre le licenciement accordée par la Loi aux représentants du personnel. L’employeur devra obtenir l’autorisation de l’Inspection du travail avant de pouvoir notifier la rupture du contrat de travail : à défaut la rupture est nulle, et le salarié réintégré avec une indemnisation de la perte de rémunération due à son éviction.

Mais cette protection n’est accordée que dans l’hypothèse où une organisation syndicale représentative dans la branche, a appuyé expressément cette demande individuelle de déclencher le processus électoral. Or l’arrêt ci-dessous reproduit reconnaît une protection au salarié, même s’il n’a pas reçu un tel appui.

En effet la procédure de licenciement déclenchée quelques jours après la demande d’organiser les élections professionnelles, présentée par le salarié concerné, laisse présumer une discrimination syndicale. Et sur ce point c’est à l’employeur de rapporter la preuve de l’absence de toute discrimination abusive, si le Juge constate l’absence de motif réel et sérieux : à défaut, et même au bénéfice du doute, la rupture encourt la nullité.

Par ailleurs et en tout état de cause, le fait pour l’employeur de commettre un manquement à son obligation d’organiser les élections professionnelles, cause nécessairement un préjudice individuel à chaque salarié de l’entreprise. Nul besoin par conséquent de démontrer l’existence ou l’ampleur d’un préjudice, puiqu’il est présumé (et laissé à l’appréciation du Juge) : la sanction sur ce point de l’employeur est automatique.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 28 juin 2023 (pourvoi n° 22-11.699, publié au Bulletin)

M. [S] [V], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 22-11.699 contre l’arrêt rendu le 2 juin 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société PM Turenne, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à M. [N] [B], domicilié [Adresse 3], pris en qualité de liquidateur amiable de la société PM Turenne,
(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 2 juin 2021), M. [V] a été employé en qualité de serveur par la société PM Turenne (la société) à compter du 2 juin 2014.

2. Le 9 octobre 2015, le salarié a demandé l’organisation d’élections professionnelles. Il a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement le 5 novembre 2015, avec mise à pied conservatoire. Il a été licencié pour faute grave le 9 novembre 2015.

3. Invoquant l’existence d’une discrimination syndicale et contestant le bien-fondé de son licenciement, il a saisi la juridiction prud’homale le 16 février 2016 aux fins notamment d’annulation du licenciement, de réintégration et de paiement de rappels de salaire et de diverses indemnités.

4. La société a été placée en liquidation amiable, M. [B] étant désigné liquidateur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes tendant à ce que son licenciement soit dit nul, que soit ordonnée sa réintégration et en paiement d’un rappel de salaire à compter du licenciement jusqu’à sa réintégration effective ainsi qu’un rappel de salaire provisionnel, alors « que lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu’il appartient au juge d’examiner les éléments invoqués par le salarié au soutien de ses allégations de discrimination ; que pour caractériser la discrimination subie, le salarié faisait valoir que l’employeur avait engagé une procédure de licenciement à son encontre le jour même de la réception du courrier par lequel il sollicitait l’organisation d’élections professionnelles ; qu’en se bornant à affirmer que le salarié ne faisait état d’aucun élément de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale sans rechercher si la concomitance entre la réception du courrier du salarié demandant l’organisation d’élections professionnelles et l’engagement de la procédure de licenciement ne laissait pas supposer l’existence d’une discrimination, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1132-1 et L. 2141-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause :

6. Lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient à l’employeur de démontrer que la rupture du contrat de travail ne constitue pas une mesure de rétorsion à la demande antérieure du salarié d’organiser des élections professionnelles au sein de l’entreprise.

7. Pour rejeter les demandes du salarié au titre de la nullité du licenciement pour discrimination syndicale et de dommages-intérêts, l’arrêt retient que le salarié ne présente dans ses conclusions aucun élément de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale.

8. En statuant ainsi, alors qu’elle retenait que le licenciement prononcé n’était pas justifié par l’existence d’une cause réelle et sérieuse, qu’il résultait de ses constatations que le salarié avait demandé l’organisation des élections professionnelles le 9 octobre 2015, qu’il avait été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 5 novembre 2015 et licencié pour faute grave le 9 novembre 2015, et que le salarié soutenait dans ses conclusions que la procédure de licenciement avait été engagée le 14 octobre 2015, date à laquelle l’employeur avait reçu sa demande d’organisation des élections des délégués du personnel, de sorte qu’il appartenait à l’employeur de démontrer l’absence de lien entre la demande du salarié d’organiser les élections professionnelles et le licenciement prononcé, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour absence d’institutions représentatives du personnel, alors « que l’employeur qui n’a pas accompli, bien qu’il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d’institutions représentatives du personnel, sans qu’un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés d’une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts ; qu’en rejetant la demande de réparation du salarié fondée sur l’absence d’institution représentative du personnel au motif inopérant que l’intéressé ne justifiait d’aucun préjudice consécutif à cette carence, la cour d’appel a violé l’article L. 2313-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ensemble l’alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 1382, devenu 1240, du code civil et l’article 8, § 1, de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 2313-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, l’alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 1382, devenu 1240, du code civil et l’article 8, § 1, de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne :

10. Il résulte de l’application combinée de ces textes que l’employeur qui n’a pas accompli, bien qu’il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d’institutions représentatives du personnel, sans qu’un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d’une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts.

11.Pour débouter le salarié de sa demande d’indemnité pour absence d’institutions représentatives du personnel, l’arrêt retient que le salarié ne justifie d’aucun préjudice consécutif à cette absence.

12. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
(…)

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)