La répression du travail illicite est sévère, et les sanctions sont multiples. Au-delà des peines pénales, et de l’engagement de la responsabilité de l’entreprise employeur clandestin, la règlementation sociale prévoit la solidarité financière du donneur d’ordre (sous-traitance) ou du maître d’ouvrage pour les cotisations et contributions sociales, et sur le plan fiscal.
Ces intervenants sont en effet débiteurs d’une obligation de vérification de la situation des entrepreneurs engagés dans le cadre de l’opération ou du chantier. Cette vigilance n’est donc pas de pure forme, et le maître d’ouvrage doit par exemple pouvoir justifier avoir réalisé ces vérifications.
Toutefois il n’est pas tenu de vérifier la situation des sous-traitants de son entrepreneur, et ce même s’il a agréé ces sous-traitants. C’est ce que précise la Cour de cassation dans l’arrêt ci-dessous reproduit.
COUR DE CASSATION, Chambre civile 2ème, 4 septembre 2025 (pourvoi n° 23-14.121, publié au Bulletin)
La société [5], société anonyme d’économie mixte, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 23-14.121 contre l’arrêt rendu le 2 février 2023 par la cour d’appel d’Amiens (2e protection sociale), dans le litige l’opposant à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) du Nord-Pas-de-Calais, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
(…)
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Amiens, 2 février 2023) et les productions, l’URSSAF du Nord-Pas-de-Calais (l’URSSAF) a adressé à la société [5] (le maître de l’ouvrage) deux lettres d’observations le 3 avril 2019 l’avisant, d’une part, de la mise en oeuvre à son encontre de la solidarité financière prévue par l’article L. 8222-2 du code du travail et du montant des cotisations dues pour la période allant du 21 avril au 30 juin 2017 et, d’autre part, de l’annulation des réductions ou exonérations de cotisations sociales dont elle a bénéficié au cours de cette même période, à la suite d’un procès-verbal de travail dissimulé établi à l’encontre de la société [4] (la société), sous-traitant de son cocontractant, la société [3] (l’entrepreneur principal), suivies de deux mises en demeure.
2. Contestant être tenu à une obligation de vigilance à l’égard du sous-traitant de son cocontractant, le maître de l’ouvrage a saisi d’un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen / Enoncé du moyen
3. Le maître de l’ouvrage fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes et de valider les mises en demeure, alors « que les obligations de vérification mises à la charge des donneurs d’ordre et maîtres d’ouvrage préalablement à la conclusion d’un contrat, dans le cadre de la lutte contre le travail illégal, ne portent que sur la situation du propre contractant du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage ; que le sous-traitant du contractant d’un donneur d’ordre ou d’un maître d’ouvrage n’est pas contractuellement lié à ce dernier; que dès lors, le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage n’est tenu, vis-à-vis du sous-traitant de son contractant, fût-il agréé, d’aucune obligation de vérification préalable à la conclusion du contrat ; qu’en jugeant le contraire pour valider les mises en demeure adressées par l’URSSAF au maître de l’ouvrage, en raison des manquements d’un sous-traitant de l’entrepreneur principal avec lequel elle avait seul contracté, la cour d’appel a violé les articles L. 8222-1, L. 8222-2 du code du travail, L. 243-15 du code de la sécurité sociale et 1199 du code civil.»
Réponse de la Cour
Vu les articles 1199 du code civil, L. 8222-1 et L. 8222-2, deuxième alinéa, du code du travail, et 3 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance, applicables au litige :
4. Selon le troisième de ces textes, le donneur d’ordre ou maître de l’ouvrage qui méconnaît les obligations de vigilance énoncées au deuxième, est tenu solidairement au paiement des cotisations obligatoires, pénalités et majorations dues par son cocontractant qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé, ainsi, le cas échéant, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques dont il a bénéficié.
5. Selon le dernier, l’entrepreneur principal qui recourt à un ou plusieurs sous-traitants doit faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l’ouvrage.
6. En application du premier, selon lequel les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes, la Cour de cassation juge que le sous-traitant n’est pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage (Ass. plén., 12 juillet 1991, pourvoi n° 90-13.602, Bull. 1991, Ass. plén., n° 5).
7. Il en résulte que, pour l’application de l’article L. 8222-1 du code du travail, le maître de l’ouvrage n’est pas tenu à une obligation de vigilance à l’égard du sous-traitant de son cocontractant.
8. Pour rejeter les demandes du maître de l’ouvrage et valider les mises en demeure, l’arrêt retient que l’acte spécial du 21 avril 2017, annexé à l’acte d’engagement, établit que le maître de l’ouvrage a expressément accepté la société en qualité de sous-traitant, ainsi que le paiement direct à cette dernière, en sorte qu’il existe un lien contractuel entre eux. Il en déduit que le maître de l’ouvrage était tenu à une obligation de vigilance à l’égard du sous-traitant dont il devait vérifier la cohérence des attestations de vigilance, si bien que sa solidarité financière a été engagée à bon droit.
9. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’entrepreneur principal, seul cocontractant du maître de l’ouvrage, n’avait pas fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)
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