L’astreinte est un temps intermédiaire, ni temps de travail ni temps de repos : c’est le temps pendant lequel le salarié n’étant pas à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit toutefois être prêt à intervenir pour exécuter une prestation de travail. Evidemment le temps d’intervention, quant à lui, reste bien du temps de travail effectif : l’astreinte c’est le reste, le temps où le salarié n’intervient pas, et peut donc se livrer librement à des occupations personnelles si celles-ci ne l’empêchent pas d’intervenir sans délai en cas « d’alerte ».
Or le temps d’astreinte ne peut être assimilé à un temps d’attente, pendant lequel le salarié ne pourrait pas être libre de vaquer à ses occupations personnelles. Il en est ainsi par exemple lorsque le salarié est contraint de patienter en salle de garde afin d’intervenir de façon incessante.
La Cour de cassation reprend sur ce point la solution dégagée par la Cour de justice de l’Union européenne : il n’y a pas d’astreinte si « … les contraintes imposées au travailleur sont d’une nature telle qu’elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts « . L’arrêt ci-dessous reproduit met en oeuvre celle-ci dans le cas d’un gardien de nuit incessamment sollicité pendant sa prétendue période d’astreinte.
COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 14 mai 2025 (pourvoi n° 24-14.319, publié au Bulletin)
M. [B] [C], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 24-14.319 contre l’arrêt rendu le 22 février 2024 par la cour d’appel de Poitiers (chambre sociale), dans le litige l’opposant à la société Invest Hotels Toulouse La Rochelle Saint-Avold Thiers, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
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Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 22 février 2024), M. [C] a été engagé en qualité de cuisinier le 16 mai 2016 par la société Invest Hotels Toulouse La Rochelle Saint-Avold Thiers. Il était en dernier lieu employé d’exploitation polyvalent.
2. Il a été licencié le 2 décembre 2019.
3. Le 22 mai 2020, le salarié a saisi la juridiction prud’homale notamment de demandes en paiement d’heures supplémentaires accomplies au titre des astreintes.
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Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l’arrêt de limiter les sommes allouées à titre de rappels de salaires et de congés payés afférents et de le débouter de ses demandes en paiement de dommages-intérêts au titre de la violation des prescriptions légales en matière de temps de travail et du manquement à l’obligation de sécurité, ainsi que de sa demande présentée au titre de l’indemnité pour travail dissimulé, alors « que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; que constitue au contraire une astreinte la période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour effectuer un travail au service de l’entreprise, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif ; que la Cour de justice de l’Union européenne juge que relève de la notion de temps de travail effectif, au sens de la directive 2003/88, l’intégralité des périodes de garde, y compris celles sous régime d’astreinte, au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d’une nature telle qu’elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts. Inversement, lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours d’une période de garde déterminée n’atteignent pas un tel degré d’intensité et lui permettent de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours d’une telle période constitue du »temps de travail », aux fins de l’application de la directive 2003/88 (CJUE, 9 mars 2021, C-344/19, D.J. c/ Radiotelevizija Slovenija, points 37 et 38) ; que pour limiter les sommes dues au salarié au titre des rappels de salaire et des congés payés afférents, la cour d’appel, après avoir rappelé les stipulations contractuelles et relevé que le salarié devait assurer en moyenne quatre nuits d’astreinte hebdomadaires, du vendredi soir au mardi matin, au sein de l’hôtel où il travaillait et logeait dans une chambre de fonction réservée à cet effet, a retenu que, bien que le salarié ne rapportait aucun élément permettant d’établir que l’intégralité de ses temps d’astreinte constituait du temps de travail effectif, en raison notamment de l’existence d’une borne d’accès 24 heures sur 24 permettant aux clients d’avoir un accès libre à l’hôtel sans avoir à s’adresser au salarié de permanence, ce qui limitait ses interventions durant les nuits passées à l’hôtel, il rapportait néanmoins des éléments suffisants montrant qu’il était régulièrement appelé à intervenir durant ses périodes d’astreinte, compte tenu de la vétusté des lieux et du matériel de l’hôtel ; qu’en se déterminant ainsi, sans vérifier, comme elle y était invitée, si le salarié avait été soumis, au cours de ses périodes d’astreinte, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1 et L. 3121-9 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3121-1 et L. 3121-9 du code du travail :
5. Aux termes du premier de ces textes, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
6. Selon le second, constitue au contraire une astreinte la période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour effectuer un travail au service de l’entreprise, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif.
7. La Cour de justice de l’Union européenne juge que relève de la notion de « temps de travail effectif », au sens de la directive 2003/88, l’intégralité des périodes de garde, y compris celles sous régime d’astreinte, au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d’une nature telle qu’elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts. Inversement, lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours d’une période de garde déterminée n’atteignent pas un tel degré d’intensité et lui permettent de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours d’une telle période constitue du « temps de travail », aux fins de l’application de la directive 2003/88 (CJUE, 9 mars 2021, D.J. c/ Radiotelevizija Slovenija, C-344/19, points 37 et 38).
8. Pour limiter à une certaine somme la condamnation de l’employeur au paiement d’un rappel de salaire à titre d’heures supplémentaires, l’arrêt retient que le temps d’astreinte n’était pas un temps de travail effectif dès lors que les interventions du salarié au titre de l’accès des clients à l’hôtel ne pouvaient qu’être limitées durant la nuit qu’il passait à l’hôtel compte tenu de l’existence d’une borne d’accès 24 heures sur 24 mais que le salarié était appelé à intervenir régulièrement durant ses périodes d’astreinte compte tenu de la vétusté des lieux et du matériel de l’hôtel.
9. En se déterminant ainsi, alors qu’elle constatait que le salarié était amené à intervenir régulièrement pendant les périodes d’astreinte, sans vérifier si l’intéressé, qui soutenait que son numéro de téléphone figurait sur la borne automatique de l’hôtel, avait été soumis, au cours de ces périodes, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
(…)
PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)
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