L’employeur est tenu de mettre en oeuvre une procédure formelle lorsqu’il entend résilier le contrat de travail à durée indéterminée du salarié, ou en principe prononcer à son encontre une sanction disciplinaire. Ces procédures légales sont destinées à permettre le contrôle judiciaire ou administratif de sa décision, sans remettre en cause le caractère absolu de son pouvoir de direction.
Dans ce cadre, le salarié doit être notamment convoqué à un entretien préalable, suivi d’un délai de réflexion minimum avant que le cas échéant, l’employeur ne finalise son projet. Au cours de l’entretien préalable, l’employeur est tenu d’exposer les motifs pour lesquels il envisage le licenciement ou la sanction, et de recueillir les observations du salarié.
C’est la raison pour laquelle si l’entretien préalable est obligatoire pour l’employeur, il reste facultatif pour le salarié. Ainsi ce dernier peut-il ne pas se rendre à l’entretien, sans que cela ne constitue un manquement de sa part, ou une irrégularité de la procédure mise en oeuvre.
Il peut aussi se rendre à l’entretien, mais y rester silencieux et ne pas réagir à ce moment, aux reproches émis par son employeur. Toutefois en aucune manière l’employeur n’est tenu d’indiquer, au nombre des mentions obligatoires de la convocation à entretien préalable, le droit du salarié de conserver le silence au cours de l’entretien.
Et la règlementation sociale est sur ce point conforme à la Constitution, ainsi que le Conseil constitutionnel vient d’en décider suite à plusieurs questions prioritaires de constitutionalité lui ayant été transmises. Cette décision est principalement reproduite ci-dessous.
Décision Conseil Constitutionnel n° 2025-1160/1161/1162 QPC, du 19 septembre 2025
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 juin 2025 par le Conseil d’État (décision n° 502832 du 18 juin 2025), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Nezha B. par Me David van der Vlist, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1160 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 1232-2, L. 1232-3 et L. 1232-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative), et de l’article L. 1332-2 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives.
Il a également été saisi le même jour par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 767 du 20 juin 2025), dans les mêmes conditions, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée pour Mme Clélia L. par Me Anaëlle Languil, avocate au barreau de Rouen. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1161 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 1332-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 mars 2012 précitée.
Il a enfin été saisi le même jour par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 768 du 20 juin 2025), dans les mêmes conditions, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée pour Mme Céline L. par la SAS Zribi et Texier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1162 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 1232-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 12 mars 2007 précitée, et de l’article L. 1332-2 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 mars 2012.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative) ;
- la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
(…)
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les trois questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. L’article L. 1232-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 12 mars 2007 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« L’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable.
« La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l’objet de la convocation.
« L’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation ».
3. L’article L. 1232-3 du même code, dans la même rédaction, prévoit :
« Au cours de l’entretien préalable, l’employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié ».
4. L’article L. 1232-4 du même code, dans la même rédaction, prévoit :
« Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise.
« Lorsqu’il n’y a pas d’institutions représentatives du personnel dans l’entreprise, le salarié peut se faire assister soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise, soit par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l’autorité administrative.
« La lettre de convocation à l’entretien préalable adressée au salarié mentionne la possibilité de recourir à un conseiller du salarié et précise l’adresse des services dans lesquels la liste de ces conseillers est tenue à sa disposition ».
5. L’article L. 1332-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 mars 2012 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Lorsque l’employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l’objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n’ayant pas d’incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié.
« Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise.
« Au cours de l’entretien, l’employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.
« La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien. Elle est motivée et notifiée à l’intéressé ».
6. Les requérantes, rejointes par les parties intervenantes, reprochent à ces dispositions de ne pas prévoir que le salarié est informé par l’employeur de son droit de se taire lors de l’entretien préalable à un licenciement pour motif personnel ou à une sanction disciplinaire, alors que ses déclarations sont susceptibles d’être utilisées à son encontre. Il en résulterait, selon elles, une méconnaissance des exigences découlant de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
7. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et recueille les explications du salarié » figurant à l’article L. 1232-3 du code du travail et à l’avant-dernier alinéa de l’article L. 1332-2 du même code.
8. Aux termes de l’article 9 de la Déclaration de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences ne s’appliquent qu’aux peines et aux sanctions ayant le caractère d’une punition. Elles ne s’appliquent pas aux mesures qui, prises dans le cadre d’une relation de droit privé, ne traduisent pas l’exercice de prérogatives de puissance publique.
9. En application de l’article L. 1232-1 du code du travail, l’employeur peut rompre le contrat de travail à durée indéterminée d’un salarié en décidant de son licenciement pour motif personnel. Par ailleurs, il résulte de l’article L. 1331-1 du même code qu’en cas d’agissement qu’il considère comme fautif, l’employeur peut prendre à l’encontre du salarié une sanction, laquelle peut consister en un licenciement pour motif personnel.
10. L’employeur qui envisage de licencier pour un tel motif un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable, au cours duquel, conformément à l’article L. 1232-3, il lui indique les motifs de la décision envisagée. En vertu du premier alinéa de l’article L. 1332-2, il procède de même lorsqu’il envisage de prendre à l’égard du salarié une sanction qui a une incidence sur sa présence dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. En application des dispositions contestées de ces articles, au cours de cet entretien, l’employeur recueille les explications du salarié.
11. D’une part, le licenciement et la sanction décidés par un employeur à l’égard d’un salarié ou d’une personne employée dans les conditions du droit privé ne relèvent pas de l’exercice par une autorité de prérogatives de puissance publique.
12. D’autre part, de telles mesures sont prises dans le cadre d’une relation régie par le droit du travail et ont pour seul objet de tirer certaines conséquences, sur le contrat de travail, des conditions de son exécution par les parties.
13. Ainsi, ni le licenciement pour motif personnel d’un salarié ni la sanction prise par un employeur dans le cadre d’un contrat de travail ne constituent une sanction ayant le caractère d’une punition au sens des exigences constitutionnelles précitées.
14. Dès lors, le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789, faute de prévoir que le salarié doit être informé de son droit de se taire lors de l’entretien préalable à un licenciement pour motif personnel ou à une sanction, ne peut qu’être écarté.
15. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Les mots « et recueille les explications du salarié » figurant à l’article L. 1232-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative), et à l’avant-dernier alinéa de l’article L. 1332-2 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, sont conformes à la Constitution.(…)
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