Le tunel légal d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, conduit souvent le salarié à invoquer un préjudice distinct de la seule perte illégitime de l’emploi, et dont la réparation relève d’une appréciation judiciaire restée libre. Il s’agit de compléter alors les dommages-intérêts plafonnés, que ce demandeur estime insatisfaisants.

La jurisprudence rappelle régulièrement qu’il convient pour l’intéressé de rapporter la preuve de la réalité et de l’ampleur du préjudice supplémentaire ici invoqué, pour pouvoir présenter une demande d’indemnisation. Mais il convient déjà de démontrer préalablement la faute de l’employeur à l’origine de ce préjudice distinct.

C’est ce rappel nécessaire que fait la Cour de cassation dans l’arrêt reproduit ci-dessous par extraits. Il convient dès lors de démontrer la particulière mauvaise foi de l’employeur, qui par exemple aura prétexté un faux motif économique pour rompre illégitimement le contrat de travail, ou encore le caractère particulièrement abusif d’un comportement violent, vexatoire ou malveillant de celui-ci.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 15 FÉVRIER 2023 (pourvoi n° 21-19.712, inédit)

1°/ La société Odyssée, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],

2°/ la société Philippe Fauveder et compagnie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],

3°/ la société Philippe Fauveder et compagnie, dont le siège est [Adresse 6], venant aux droits de la société Fauveder, société anonyme,

4°/ la société Hinterland, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],

5°/ la société Manuport, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° K 21-19.712 contre l’arrêt rendu le 11 juin 2021 par la cour d’appel de Rennes (8e chambre prud’homale), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [U] [J], domicilié [Adresse 2],

2°/ à M. [Z] [J], domicilié [Adresse 3],

agissant tous deux tant en leur nom personnel qu’en qualité d’ayant droits de [W] [M], épouse [J], décédée,

3°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

(…)

Faits et procédure

  1. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 11 juin 2021), [W] [J] a été engagée par la société Philippe Faudever & Cie, le 19 juin 1989, en qualité d’aide-comptable. Son contrat de travail a été transféré à la société Odyssée (la société), elle occupait au dernier état de la relation de travail le poste de directrice comptable et administrative.
  2. La salariée convoquée le 18 août 2015 à un entretien préalable à son éventuel licenciement pour motif économique, a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle et la relation de travail a pris fin le 28 septembre 2015.
  3. La salariée a saisi la juridiction prud’homale en reconnaissance de la qualité de co-employeurs des sociétés Odyssée, Philippe Faudever & Cie, Faudever, Hinterland et Manuport, en contestation du bien-fondé de son licenciement, en paiement de sommes au titre de l’exécution du contrat de travail et en paiement de dommages-intérêts.

(…)

  1. La société fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à MM. [U] et [Z] [J], ès-qualités, une somme à titre de dommages-intérêts en réparation d’un préjudice moral distinct, alors « que le juge ne peut accorder au salarié des dommages-intérêts au titre de la rupture du contrat, en plus de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qu’à la condition de caractériser les conditions vexatoires ou brutales de la rupture et un préjudice distinct de la perte de son emploi ; qu’en se bornant à relever, pour condamner la société à payer une indemnité en réparation d’un préjudice moral distinct, que la rupture est  »intervenue dans les conditions précédemment décrites (c’est-à-dire sans que l’employeur ait rempli son obligation de reclassement) après 26 ans d’ancienneté et un investissement professionnel particulier marqué par une constante évolution professionnelle traduisant une montée en compétence de l’intéressée  » et que la salariée  »n’a pas bénéficié du repositionnement dont ont bénéficié les comptables », la cour d’appel n’a caractérisé ni les conditions vexatoires ou déloyales de la rupture, ni un préjudice distinct de la perte injustifiée de l’emploi ; qu’elle a en conséquence privé sa décision de base au regard de l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

  1. Pour condamner l’employeur à payer aux ayant droits de la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour conditions vexatoires de la rupture, l’arrêt retient que la rupture est intervenue sans que l’employeur ait respecté son obligation de reclassement alors que la salariée qui avait vingt et un ans d’ancienneté avait fait preuve d’un investissement marqué par une constante évolution professionnelle. Il ajoute que la rupture a un caractère d’autant plus déloyal que la salariée n’a pu bénéficier, comme les comptables, d’un repositionnement mis en oeuvre discrétionnairement par l’employeur.
  2. En se déterminant ainsi, sans caractériser une faute dans les circonstances de la rupture de nature à justifier l’allocation d’une indemnité distincte des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

(…)

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)