En cas de transfert d’entreprise, les contrats de travail en cours sont automatiquement et impérativement transférés au nouvel employeur, selon l’article L.1224-1 du Code du travail. Ces dispositions légales s’appliquent à tout salarié, et constituent un mécanisme protecteur de ce statut.

Cette protection s’applique donc au gérant de succursale, dont le statut salarié est expressément prévu par la Loi, même s’il n’est pas soumis au pouvoir de direction d’un employeur. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt ci-dessous principalement reproduit.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 18 juin 2025 (pourvoi n° 23-14.297, publié au Bulletin)

La société Entre Parenthèse, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 23-14.297 contre l’arrêt rendu le 19 janvier 2023 par la cour d’appel de Chambéry (chambre sociale), dans le litige l’opposant :

1°/ à Mme [S] [Z], domiciliée [Adresse 2],

2°/ à la société Lagardère Travel Retail France, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 3],
(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Chambéry,19 janvier 2023), Mme [Z] a été engagée le 27 décembre 1990, par la société Lagardère Travel Retail France qui exploitait au sein de l’hôpital de [Localité 4], une cafétéria et un point presse, pour assurer la gestion de ce point de vente en qualité de gérante de succursale en application des dispositions des articles L. 7321-1 et suivants du code du travail.

2. La concession de la société Lagardère Travel Retail France avec l’hôpital est arrivée à son terme le 31 janvier 2020 au profit de la société Entre Parenthèse qui a remporté l’appel d’offres du concédant.

3. Le 1er février 2020, la société Entre Parenthèse a ainsi repris l’exploitation de la cafétéria presse ainsi que les contrats de tous les salariés qui y étaient affectés, à l’exception de celui de Mme [Z] (la gérante).

4. Cette dernière a alors saisi la juridiction prud’homale afin qu’il soit constaté le transfert de son contrat à la société Entre Parenthèse et d’obtenir paiement de diverses sommes au titre de la rupture de son contrat en faisant valoir que le refus de reprendre son contrat s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
(…)
Enoncé du moyen

6. La société Entre Parenthèse fait grief à l’arrêt de dire que le contrat d’engagement de la gérante lui avait été transféré au 1er février 2020 par application de l’article L. 1224-1 du code du travail et de juger qu’étaient dus en leur principe une indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que les dispositions relatives aux relations individuelles de travail, prévues par la première partie du code du travail, dont font partie celles de l’article L. 1224-1 relatives aux transferts des contrats de travail, sont applicables aux gérants de succursale assimilés à des chefs d’établissement, « dans la mesure où elles s’appliquent aux chefs d’établissement » ; que cette règle ne prévoit donc pas une application de principe de ces dispositions aux gérants chefs d’établissement, mais l’application de celles-là seules qui peuvent être appliquées à des chefs d’établissement ; qu’en affirmant dès lors que « les relations individuelles de travail prévues par la première partie du code du travail dont fait partie l’article L. 1224-1 (…) s’appliquent en principe aux chefs d’établissement, directeurs ou gérants et aux chefs d’établissement qui gèrent leur personnel de manière autonome sans être liés par le chef d’entreprise fournissant les marchandises », la cour a violé l’article L. 7321-3 du code du travail, ensemble l’article L. 1224-1 du même code ;

2°/ que les dispositions relatives aux relations individuelles de travail, prévues par la première partie du code du travail, dont font partie celles de l’article L. 1224-1 relatives aux transferts de contrats de travail, sont applicables aux gérants de succursale assimilés à des chefs d’établissement, « dans la mesure où elles s’appliquent aux chefs d’établissement » ; que ce texte exprime ainsi une réserve et une condition justifiées par la nature particulière du statut du gérant de succursale, à raison de sa qualité assimilée à celle d’un chef d’établissement ; qu’il s’ensuit que la circonstance qu’aucun texte ne précise rien au sujet du transfert des contrats de travail du dirigeant ou du gérant salarié assimilé à un chef d’établissement devait conduire la cour, tout au contraire, à constater que rien ne justifiait que les règles de l’article L. 1224-1 du code du travail lui fussent applicables ; qu’en se déterminant dès lors comme elle l’a fait, la cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 7321-3 et L. 1224-1 du code du travail ;

3°/ que les gérants de succursale qui ne répondent pas aux conditions de l’article L. 7321-3 alinéa 1 du code du travail sont, en vertu de l’alinéa 2 du même texte, assimilés à des chefs d’établissements ; qu’en vertu de ce principe d’assimilation, ce même texte indique que les dispositions relatives aux relations individuelles de travail prévues par la première partie du même code, dont celles de l’article L. 1221-4 relatives aux transferts de contrats de travail, sont applicables auxdits gérants « dans la mesure où elles s’appliquent aux chefs d’établissement, directeurs ou gérants salariés » ; qu’il s’ensuit que le juge ne peut appliquer ces dispositions au gérant de succursale ainsi assimilé à un chef d’établissement, tel que Mme [Z], dont il a été constaté qu’elle exploitait le point de vente, recrutait le personnel, le dirigeait et le rémunérait, sans avoir explicitement constaté qu’elles étaient applicables à un chef d’établissement ; qu’en l’espèce, pour décider que les dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail étaient applicables à Mme [Z], la cour s’est bornée à relever « qu’aucune disposition spéciale relative au transfert des contrats de travail ne s’appliquent au dirigeant ou gérant salarié, de sorte que le droit commun de l’article L. 1224-1 du code du travail s’applique à ses travailleurs, et aux chefs d’établissement non salarié comme le prévoit l’article L. 7321-3 du code du travail » ; qu’en se déterminant ainsi, sans avoir relevé aucune disposition permettant de justifier que les règles de l’article L. 1224-1 du code du travail étaient applicables à un chef d’établissement, et donc à Mme [Z] en sa qualité de gérant de succursale assimilé à un chef d’établissement, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 7321-3 et L. 1224-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. Selon l’article L. 7321-3 du code du travail, le chef d’entreprise qui fournit les marchandises ou pour le compte duquel sont recueillies les commandes ou sont reçues les marchandises à traiter, manutentionner ou transporter n’est responsable de l’application aux gérants salariés de succursales des dispositions du livre Ier de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés et de celles de la quatrième partie relatives à la santé et à la sécurité au travail que s’il a fixé les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l’établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord. Dans le cas contraire, ces gérants sont assimilés à des chefs d’établissement. Leur sont applicables, dans la mesure où elles s’appliquent aux chefs d’établissement, directeurs ou gérants salariés, les dispositions relatives aux relations individuelles de travail prévues à la première partie.

8. La Cour de Justice de l’Union européenne a jugé (CJUE, arrêt du 13 juin 2019, Cátia Correia Moreira / Município de Portimão, C-317/18) que l’article 2, paragraphe 1, sous d), de la directive 2001/23 du Conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprise, d’établissement ou de parties d’entreprises ou d’établissements, se borne à exiger qu’une personne soit protégée en tant que travailleur, dans le cadre de la législation nationale concernée, sans pour autant insister sur un certain contenu ou une certaine qualité de protection (point 46) ; que rendre pertinentes des différences entre les travailleurs, selon le contenu ou la qualité de leur protection en vertu de la législation nationale priverait la directive 2001/23 d’une partie de son effet utile (point 47) ; qu’il convient, par ailleurs, de relever que la directive 2001/23, ainsi qu’il découle de son considérant 3, vise à assurer le maintien des droits des travailleurs en cas de changement de chef d’entreprise et non, le cas échéant, à étendre leurs droits. Ainsi, cette directive se borne à garantir que la protection dont une personne bénéficie, en vertu de la législation nationale concernée, ne se détériore pas du seul fait du transfert (point 48) ; qu’en effet, l’objet de ladite directive est de garantir, autant que possible, la continuation des contrats ou des relations de travail, sans modification, avec le cessionnaire, afin d’empêcher que les travailleurs concernés soient placés dans une position moins favorable du seul fait du transfert (point 49) ; qu’il s’ensuit que la directive 2001/23 assure que la protection spécifique, prévue par une législation nationale, sera maintenue sans que son contenu ou sa qualité en soit affectés (point 50).

9. Il en résulte que l’article L. 1224-1 du code du travail, qui fait partie des dispositions du titre II du livre deuxième de la première partie de ce code relatif à la formation et l’exécution du contrat de travail, est applicable aux gérants de succursale assimilés à des chefs d’établissement dès lors qu’il s’applique aux chefs d’établissement, aux dirigeants et aux gérants salariés, aucun texte n’excluant de son champ d’application ces catégories de travailleurs.

10. C’est dès lors à bon droit que la cour d’appel, après avoir constaté que la gérante était assimilée à un chef d’établissement, a retenu que la société Entre Parenthèse avait, à tort, refusé de poursuivre son contrat et que ce refus s’analysait en une rupture aux torts de cette société produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

11. Le moyen n’est donc pas fondé.

(…)

PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)