L’article L.1134-1 du Code du travail, d’inspiration communautaire, introduit dans la règlementation sociale un outil redoutable au profit notamment du salarié qui s’estime victime d’une discrimination abusive. Il s’agit d’un régime exorbitant du Droit commun de la preuve civile, qui aménage la charge de cette preuve de façon originale.

Ainsi le salarié n’a qu’à rassembler un ensemble de faits établissant une apparence de discrimination reposant sur un critère illicite ; l’employeur doit alors démontrer de façon objective et matériellement vérifiable, l’absence de toute discrimination. En cas de doute, celui-ci profite au salarié : l’entreprise employeur peut donc être condamnée … au bénéfice du doute !

Au regard de la sévérité des sanctions prévues en cas de discrimination abusive (nullité de l’acte discriminatoire, exonération du barème d’indemnisation du licenciement illégitime, disqualification du licenciement pour inaptitude physique etc.), les conséquences d’un tel mécanisme probatoire sont d’une gravité extrême. L’on rappelle d’ailleurs ici que bien évidemment, ce mécanisme ne s’applique aucunement devant le juge pénal.

Toutefois il est nécessaire que le salarié réalise sa « part du chemin » dans l’établissement de la réalité d’un tel abus : il ne peut se contenter d’affirmer d’être victime, encore doit-il l’établir au préalable, dans le cadre du procès prud’homal. C’est ce que rappelle ici la Cour de cassation, dans l’arrêt signalé du 2 octobre 2019.

Ainsi le licenciement d’un salarié en arrêt-maladie, qui n’est pas interdit, ne peut être relié à l’état de santé de l’intéressé que si ce dernier présente matériellement des éléments de faits laissant apparaître un tel lien. Tel n’est pas le cas par exemple, si le motif (légitime) de licenciement est antérieur à l’arrêt-maladie.

Cour de cassation, chambre sociale, 2 octobre 2019 (pourvoi n° 18-14546, non-publié au bulletin)

(…)

(…)Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. J… a été engagé en qualité de contrôleur opérationnel par la société Intervalles suivant plusieurs contrats à durée déterminée pour la période du 6 février au 31 octobre 2007 puis par contrat à durée indéterminée à effet du 5 novembre 2007 ; que le salarié a été placé en arrêt de travail du 20 août 2014 au 20 avril 2015 ; qu’il a été licencié pour insuffisance professionnelle le 14 avril 2015 ; que le 29 avril 2015, il a saisi la juridiction prud’homale de demandes relatives tant à l’exécution qu’à la rupture de son contrat de travail ;

(…)
Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes de nullité du licenciement pour discrimination en raison de son état de santé, de réintégration et de paiement des salaires afférents et de condamner l’employeur au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen :

1°/ qu’aucune personne ne peut être licenciée en raison de son état de santé, une telle mesure présentant un caractère discriminatoire ; qu’il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte et il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que pour juger, en l’espèce, que le licenciement de M. J… n’avait pas été prononcé en raison de son état de santé, et qu’il n’était donc pas nul, la cour d’appel a affirmé que « la preuve n’est pas rapportée que le licenciement du salarié est fondé sur son état de santé » ; qu’en statuant de la sorte, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve de la discrimination sur le salarié, a violé les articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 1132-4 du code du travail ;

2°/ qu’en tout état de cause, une fois que le salarié a présenté des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu’en l’espèce, M. J… faisait valoir que les motifs de son licenciement n’étaient qu’un prétexte et qu’il avait, en réalité, été licencié en raison de son état de santé ; qu’après avoir elle-même constaté que le licenciement du salarié était intervenu durant une période d’arrêt de travail pour maladie de plusieurs mois et juste avant sa reprise de travail, et jugé que le licenciement prononcé à son encontre était dénué de cause réelle et sérieuse, car reposant sur des griefs peu précis et non datés insusceptibles d’objectiver le comportement de l’employeur, la cour d’appel a néanmoins débouté l’exposant de sa demande de nullité de son licenciement en affirmant que « la preuve n’est pas rapportée que le licenciement du salarié est fondé sur son état de santé » ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales qui s’imposaient de ses propres constatations dont il s’évinçait que l’employeur était dans l’incapacité d’objectiver la mesure de licenciement prise à l’encontre du salarié, et a violé ce faisant les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;

Mais attendu qu’ayant relevé que les griefs mentionnés dans la lettre de licenciement étaient relatifs à une période antérieure à l’arrêt de travail du salarié, qu’ils avaient été évoqués lors d’un entretien avec son supérieur hiérarchique antérieurement à cet arrêt de travail et que le licenciement était intervenu plusieurs mois après le début de l’arrêt maladie et avant la reprise du travail, la cour d’appel a, sans inverser la charge de la preuve, fait ressortir que le salarié ne présentait pas d’éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination fondée sur son état de santé ; que le moyen n’est pas fondé ;

(…)
Et vu l’article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l’article 1015 du même code ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE (…)