Le principe d’égalité de traitement impose que deux salariés à situation identique, placés sur un poste identique, reçoivent un avantage indentique. En cas de rupture d’égalité cependant, l’employeur est recevable à justifier cette différence de traitement par un motif légitime

Or le seul fait que des salariés aient été recrutés avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif n’accordant des avantages qu’aux anciens, ne constitue pas un tel motif légitime. L’employeur doit en outre démontrer ce qui peut objectivement justifier la différence de traitement.

Et par exemple, le fait que l’accord collectif (notamment un accord de substitution à la suite de la dénonciation ou la mise en cause d’un accord collectif antérieur) prévoit un tel avantage aux salariés afin de perpétuer un acquis, perdu à défaut d’un tel accord, légitime la rupture d’égalité. C’est la solution rappelée par la Cour de cassation dans l’arrêt ci-dessous signalé.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 24 septembre 2025 (pourvoi n° 24-17.698, inédit)

La société Tredi, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 24-17.698 contre l’arrêt rendu le 28 mai 2024 par la cour d’appel de Grenoble (chambre sociale, section A), dans le litige l’opposant au syndicat CGT Tredi [Localité 2], dont le siège est [Adresse 3], défendeur à la cassation.
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Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 28 mai 2024), le syndicat CGT Tredi [Localité 2] a saisi la juridiction prud’homale le 3 juin 2021 aux fins d’obtenir la condamnation de la société Tredi à lui payer des dommages-intérêts pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession résultant de l’existence d’une différence de traitement salarial entre des salariés embauchés dans l’entreprise avant l’année 2006 et des salariés embauchés après cette date.

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2. L’employeur fait grief à l’arrêt de constater la différence de traitement injustifiée et de le condamner à payer au syndicat des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi tiré de l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession, alors « qu’au regard du respect du principe  »à travail égal, salaire égal », la seule circonstance que les salariés aient été engagées avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux, à moins que cet accord collectif ait pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l’entreprise lors de son entrée en vigueur ; qu’en l’espèce, l’accord collectif d’entreprise du 12 décembre 1996  »a pour objectif d’instituer le travail posté en marche continue en 5 équipes, au lieu de 4 équipes, avec réduction du temps de travail » ; qu’il prévoit que le changement de l’organisation du travail en marche continue entraîne une réduction de la durée annuelle de travail et de la durée hebdomadaire moyenne de travail du personnel travaillant en marche continue et que le personnel travaillant en marche continue en 4 équipes percevra une prime forfaitaire de 31 % du salaire de base augmenté de la prime d’ancienneté ; qu’il prévoit enfin que  »tous les salaires de base du personnel travaillant actuellement en service continu en 4 équipes et passant à la marche en 5 équipes tel que défini à l’article 2 du présent accord, seront augmentés de 10 % dès la mise en service du travail posté en 5 équipes, afin de compenser la différence négative de 10 % par rapport à l’ancienne prime de 44 % du travail posté organisé précédemment en 4 équipes » ; qu’il en résulte que l’augmentation de 10 % du salaire de base des salariés soumis au travail posté et présents lors de l’entrée en vigueur de cet accord collectif a pour objet de compenser le remplacement de l’ancienne prime forfaitaire de 44 % qu’ils percevaient au titre du travail posté en 4 équipes par une prime forfaitaire de 31 % au titre du travail posté en 5 équipes ; qu’en conséquence, au regard de cette revalorisation salariale, les salariés engagés après l’entrée en vigueur de cet accord collectif, qui n’ont pas subi la diminution de cette prime forfaitaire, ne sont pas placés dans la même situation que les salariés engagés avant l’entrée en vigueur de cet accord qui ont perdu une partie de cette prime forfaitaire du fait du passage du travail posté en 4 équipes au travail posté en 5 équipes ; qu’en jugeant néanmoins que  »tous les salariés exerçant en service continu en cinq équipes, qu’ils aient été embauchés avant l’entrée en vigueur de l’accord du 12 décembre 1996 ou après son entrée en vigueur, sont placés dans une situation exactement identique au regard des avantages de cet accord » et que  »la différence établie par le salarié entre son salaire de base et le salaire de base d’un salarié relevant du même coefficient et occupant les mêmes fonctions que les siennes mais embauché avant l’entrée en vigueur de l’accord du 12 décembre 1996 est injustifiée », la cour d’appel a violé le principe d’égalité de traitement, ensemble l’accord collectif du 12 décembre 1996. »

Réponse de la Cour
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Vu le principe d’égalité de traitement et l’article 5 de l’accord pour l’organisation du travail en marche continue en cinq équipes signé au sein de la société Tredi le 12 décembre 1996 :

6. Au regard de l’application du principe d’égalité de traitement, la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux, pour autant que cet accord collectif n’a pas pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l’entreprise lors de son entrée en vigueur. Tel est le cas lorsque des salariés, présents lors de l’entrée en vigueur d’un accord d’entreprise mettant en oeuvre le travail posté en marche continue en cinq équipes au lieu de quatre équipes, avec réduction du temps de travail, bénéficient d’un maintien de leurs avantages individuels acquis destiné à éviter toute perte de rémunération liée à l’application de ce nouvel accord.

7. Pour dire injustifiée la différence de traitement invoquée par le syndicat et condamner l’employeur à verser à ce dernier des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi tiré de l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession, l’arrêt, après avoir constaté que le syndicat démontrait qu’il existait une différence entre le montant du salaire de base d’un salarié engagé après l’entrée en vigueur de l’accord du 12 décembre 1996 et celui d’un autre salarié relevant du même coefficient que le sien mais embauché avant l’entrée en vigueur de cet accord, retient que tous les salariés exerçant en service continu en cinq équipes, qu’ils aient été embauchés avant l’entrée en vigueur de l’accord du 12 décembre 1996 ou après son entrée en vigueur, sont placés dans une situation exactement identique au regard des avantages de cet accord, de sorte que la différence de traitement fondée sur la date d’embauche du salarié, bien que prévue par un accord collectif, n’est pas présumée justifiée.

8. L’arrêt énonce qu’il appartient donc à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence de traitement. Il relève que celui-ci ne se prévaut d’aucun élément objectif susceptible de justifier cette différence de traitement, autre que la limitation du champ d’application de l’augmentation de 10 % du salaire de base prévue par l’article 5 b) de l’accord du 12 décembre 1996. Il constate que cette différence de traitement ne peut être justifiée par l’ancienneté des salariés, dès lors qu’il ressort des bulletins de paie produits par les salariés que l’ancienneté est prise en compte par le versement d’une prime d’ancienneté. Il ajoute que le fait que l’employeur respecte par ailleurs les minima conventionnels, ce qui n’est au demeurant pas contesté par les salariés, est sans pertinence, dès lors que le respect des minima conventionnels n’a pas pour effet d’exonérer l’employeur du respect du principe à « à travail égal, salaire égal », ce moyen étant dès lors inopérant. Il en conclut que la différence établie par le syndicat entre le salaire de base d’un salarié engagé après l’entrée en vigueur de l’accord et celui d’un salarié relevant du même coefficient et occupant les mêmes fonctions que les siennes mais embauché avant cette entrée en vigueur est injustifiée.

9. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, comme le soutenait l’employeur, les dispositions de l’accord d’entreprise du 12 décembre 1996, plus favorables pour les salariés engagés avant cette date, n’étaient pas destinées à compenser le préjudice résultant pour eux de la perte d’avantages individuels acquis, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE