Le temps de trajet entre le lieu de résidence habituel et le lieu de travail habituel ne constitue pas du temps de travail effectif. Toutefois s’agissant des salariés itinérants, dont le poste de travail impose par exemple de conduire un véhicule pour visiter les clients et prospects, le temps passé entre leur résidence et ces destinations réunit bien les critères de la définition légale du temps de travail.

Et pourtant pas toujours, selon l’arrêt de la Cour de cassation ci-dessous reproduit par extrait. Ainsi quand le salarié choisit librement ses tournées, et donc la localisation de ses différentes résidence comme de ses destinations professionnelles quotidiennes, qu’il peut désactiver la geolocalisation du véhicule pour ses trajets non-professionnels, et que les tâches administratives à accomplir à domicile (s’ils le souhaite) ne sont pas importantes, alors les premiers et derniers trajets de la journée ne sont pas du temps de travail effectif.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 25 octobre 2023 (pourvoi n° 20-22.800, publié au Bulletin)

M. [F] [W], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 20-22.800 contre l’arrêt rendu le 14 octobre 2020 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l’opposant à la société Auxiliaire de contrôle « Auxicontrol », société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 14 octobre 2020), M. [W] a été engagé en qualité d’assistant de délégation, emploi ultérieurement intitulé inspecteur régional, à compter du 20 septembre 1999, par la société Auxiga. Le 25 avril 2001, les parties ont conclu une convention de forfait en jours. Le contrat de travail a été transféré à la société Auxiliaire de contrôle à compter du 1er janvier 2009.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud’homale le 1er août 2017 à l’effet d’obtenir l’annulation de sa convention de forfait en jours et le paiement de diverses sommes au titre de l’exécution de son contrat de travail.

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3. Le salarié fait grief à l’arrêt de fixer à une certaine somme son salaire moyen mensuel pour l’année 2019, de limiter à une certaine somme celle allouée au titre des heures supplémentaires, congés payés afférents compris, et de confirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes en paiement de rappel de salaire au titre de la contrepartie obligatoire en repos et de dommages-intérêts au titre de l’entrave à la vie privée et d’un manquement à l’obligation de sécurité, alors :

« 1°/ que le temps de trajet pour se rendre d’un lieu de travail à un autre lieu de travail constitue un temps de travail effectif ; que pour limiter le rappel de salaire pour heures supplémentaires et rejeter les demandes subséquentes, après avoir rappelé que le salarié faisait valoir que le volume des heures de travail administratives accomplies à domicile avait une incidence sur la qualification des premiers et derniers trajets en travail effectif, en ce que ce volume conférait à son domicile un usage de bureau, transformant dès lors en trajet d’un lieu de travail vers un autre, le trajet depuis ce lieu ou vers celui-ci, la cour d’appel a retenu que pour autant, le salarié ne caractérisait nullement l’importance effective des tâches administratives accomplies à domicile, en alléguant dans ses dernières écritures qu’elles seraient de dix heures par semaine, alors même qu’il les évaluait à deux heures trente en moyenne dans ses pièces et que cette activité, en sa qualité de travailleur itinérant, ne conférait pas la qualité de lieu de travail à son domicile, quand bien même son usage ponctuel justifiait que l’employeur lui allouait une indemnité mensuelle à ce titre ; qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ces constatations que les parties étaient convenues que le salarié effectuerait, aux frais de l’employeur, un travail administratif à son domicile, ce dont elle devait déduire que le temps de trajet entre le domicile du salarié, lieu où ce dernier devait exercer une partie de ses fonctions, et les locaux des clients de l’employeur constituait un temps de travail effectif et devait être rémunéré comme tel, la cour d’appel a violé l’article L. 3121-1 du code du travail dans sa rédaction alors applicable ;

2°/ que les juges sont tenus de ne pas dénaturer les conclusions qui les saisissent ; que pour dire que le salarié ne caractérisait nullement l’importance effective des tâches administratives accomplies à domicile, l’arrêt a retenu que le salarié alléguait dans ses dernières écritures que les tâches administratives accomplies à domicile seraient de « dix heures par semaine », alors même qu’il les évaluait à deux heures trente en moyenne dans ses pièces ; qu’en statuant ainsi, alors que dans ses écritures, corroborées par ses pièces, le salarié soutenait que toutes les tâches administratives effectuées au domicile, avant de partir ou en rentrant, représentaient plus de « dix heures de travail par mois », la cour d’appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions du salarié, a violé l’article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu’après avoir relevé que le véhicule de service du salarié disposait d’un dispositif de géolocalisation, que le salarié recevait un planning mensuel, qu’il devait impérativement soumettre à l’accord de son supérieur la réalisation d’heures supplémentaires, tout décalage, anticipation ou annulation d’un contrôle, qu’il recevait également un planning hebdomadaire indiquant les contrôles à effectuer et les dates des contrôles et que si l’employeur soutenait que le salarié jouissait d’une liberté d’organisation de ses journées dès lors qu’il déterminait le choix de son itinéraire, l’ordre et l’heure de ses interventions, cette liberté était en réalité limitée puisque l’employeur pouvait pointer des anomalies, la cour d’appel a retenu que pour autant, ce contrôle quant au respect des plannings, à l’optimisation des temps de trajets et au respect de la note de service relative aux soirées étapes ne suffisaient pas à établir que le salarié se tenait à la disposition de l’employeur durant ses premiers et derniers trajets de la journée, dès lors qu’il prenait l’initiative de son circuit quotidien, les contrôles de l’employeur n’étant que rétrospectifs et se justifiant pleinement dès lors que ce dernier avait mis en place un dispositif d’indemnisation des trajets anormaux ouvrant droit à indemnisation au delà de quarante-cinq minutes, qu’en outre, en tant que travailleur itinérant le salarié restait libre de vaquer à ses obligations personnelles avant son premier rendez-vous et après le dernier et il ne saurait davantage arguer de l’existence de soirées étapes imposées par l’employeur au delà d’une certaine distance, dès lors qu’il pouvait les choisir et que cette prescription n’avait nullement pour objet ni pour conséquence de le maintenir à disposition de l’employeur mais d’éviter de trop longs trajets et qu’enfin, un interrupteur « vie privée » sur le véhicule de service lui permettait de désactiver la géolocalisation ; qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que le salarié devait utiliser, pour faire le trajet entre les locaux des clients de son employeur et son domicile, un véhicule de service doté d’un dispositif de géolocalisation, ce dont elle devait déduire que le temps de trajet pour se rendre aux locaux des clients constituait un temps effectif devant être rémunéré comme tel, la cour d’appel a violé l’article L. 3121-1 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, interprété à la lumière de l’article 2 de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte des articles L. 3121-1 et L. 3121-4, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, interprétés à la lumière de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, que lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu’elle est fixée par l’article L. 3121-1 du code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d’application de l’article L. 3121-4 du même code.

5. En premier lieu, après avoir relevé que le nombre des heures supplémentaires que le salarié estimait avoir accomplies résultait de la prise en considération dans son temps de travail effectif des temps de trajet entre le domicile et les sites des premier et dernier clients, la cour d’appel a d’abord constaté que le véhicule de service utilisé par l’intéressé disposait d’un dispositif de géolocalisation, qu’il recevait un planning mensuel, qu’il devait impérativement soumettre à l’accord de son supérieur la réalisation d’heures supplémentaires, tout décalage, anticipation ou annulation d’un contrôle, et qu’il recevait également un planning hebdomadaire indiquant les contrôles à effectuer et les dates de ces derniers.

6. Elle a retenu ensuite que le contrôle quant au respect des plannings, à l’optimisation des temps de trajets et au respect de la note de service relative aux soirées étapes ne suffisait pas à établir que le salarié se tenait à la disposition de l’employeur durant ses premiers et derniers trajets de la journée, dès lors qu’il prenait l’initiative de son circuit quotidien, les contrôles de l’employeur n’étant que rétrospectifs et se justifiant pleinement dès lors que l’employeur avait mis en place un dispositif d’indemnisation des trajets anormaux ouvrant droit à indemnisation au-delà de quarante-cinq minutes.

7. Elle a ajouté qu’en tant que travailleur itinérant, le salarié restait libre de vaquer à des occupations personnelles avant son premier rendez-vous et après le dernier et qu’il ne saurait davantage arguer de l’existence de soirées étapes imposées par l’employeur au-delà d’une certaine distance, dès lors qu’il pouvait les choisir et que cette prescription n’avait nullement pour objet ni pour conséquence de le maintenir à disposition de l’employeur mais d’éviter de trop longs trajets.

8. Elle a en outre relevé qu’un interrupteur « vie privée » sur le véhicule de service lui permettait de désactiver la géolocalisation.

9. En second lieu, ayant souverainement retenu que le salarié ne caractérisait pas l’importance effective des tâches administratives accomplies à domicile, elle a pu en déduire que l’accomplissement de ces tâches ne conférait pas audit domicile la qualité de lieu de travail, quand bien même son usage ponctuel justifiait que l’employeur lui allouât une indemnité mensuelle.

10. De ces constatations et énonciations, la cour d’appel a déduit à bon droit que les temps de trajet entre le domicile du salarié et les sites des premier et dernier clients ne constituaient pas du temps de travail effectif.

11. Le moyen, qui, pris en sa deuxième branche, est inopérant, n’est donc pas fondé.

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PAR CES MOTIFS (…) : REJETTE (…)