L’on sait que la charge de la preuve du temps de travail est partagée entre le salarié et l’employeur : ce dernier ne peut se contenter de constater l’absence d’éléments probants présentés par le demandeur. Il assume en effet l’obligation de contrôler la durée de travail du personnel, et doit donc pouvoir en justifier.
Lorsqu’il s’agit d’un salarié autonome dans l’élaboration de ses horaires, ou bien que la configuration du poste de travail ou les moyens de l’entreprise ne permettent pas un contrôle direct, la jurisprudence sociale autorise l’auto-contrôle de sa charge de travail par le salarié. La Direction ne peut alors que difficilement contester les heures supplémentaires dont le paiement est demandé par l’intéressé : elle doit en effet opérer un contrôle a posteriori, et le cas échéant encadrer la réalisation de ces heures supplémentaires.
Les contentieux sociaux sont souvent le théâtre de ces échanges ; le salarié produit un décompte réalisé pour les besoins du procès, et qui ne l’a pas été « au fil de l’eau » pendant l’exécution du contrat de travail. L’employeur conteste la fiabilité de ce mode de preuve.
Mais cette contestation ne pourra être efficace que si d’une part le salarié ne produit rien d’autre à l’appui de ses prétentions, et que d’autre part en revanche son adversaire produit quant à lui les éléments objectifs établissant la réalité dela durée de travail accomplie par l’intéressé. Ce régime complexe est rappelé par la Cour de cassation dans l’arrêt ci-dessous reproduit par extraits.
Cour de cassation, Chambre sociale, 4 novembre 2021 (pourvoi n° 20-17.250, publié au Bulletin)
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Faits et procédure
- Selon l’arrêt attaqué (Orléans, 28 mai 2020), M. [I] a été engagé le 28 juin 2010 par la société Express filets (la société), en qualité de chef d’équipe poseur de filets de protection sur des chantiers.
- Contestant son licenciement intervenu le 18 octobre 2013, le salarié a saisi la juridiction prud’homale de demandes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat.
- La société a été placée en redressement judiciaire en mai 2015 et Mme [G], aux droits de laquelle vient la société MJ Corp, désignée en qualité de commissaire à l’exécution du plan de continuation.
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Enoncé du moyen
- Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande au titre des heures supplémentaires, alors « que la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties ; qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires, l’arrêt retient que les éléments produits par l’intéressé, à savoir un document mentionnant ses horaires de travail quotidiens, un relevé d’heures accompagné du détail des chantiers effectués, un décompte, plusieurs témoignages et des notes d’hôtel, ne sont pas de nature à étayer ses prétentions ; qu’en statuant ainsi, quand l’employeur était en mesure de répondre à ces éléments, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l’article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 3171-4 du code du travail :
- Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
- Enfin, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
- Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
- Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires, l’arrêt retient que pour étayer ses dires, le salarié produit notamment un document intitulé « planning des heures de travail effectué dans la société express filets », rédigé par lui sur informatique, et dans lequel il explique que lorsqu’il était au bureau, il travaillait de 8h à 12h et de 14h à 18h, mais partait, lorsqu’il devait effectuer des déplacements pour des chantiers, le lundi à 5h et les autres jours à 7h30, pour rentrer chaque soir à 20h, et le vendredi « vers 15h/16h », que ce document est imprécis en ce qu’il ne mentionne pas les jours ou semaines pendant lesquels il se trouvait en déplacement. Il constate que le salarié produit un relevé d’heures en pièce 34, qui contrairement à ce qu’il prétend dans ses conclusions n’est pas un relevé des « heures effectuées chaque semaine », mais seulement un relevé manuscrit particulièrement imprécis établi pour 9 semaines citées par leur numéro dans l’année sans que la cour d’appel puisse savoir la date précise des heures de travail réalisées, ni l’heure à laquelle le salarié commençait le matin, prenait sa pause méridienne et partait le soir, que ce relevé est accompagné du détail des chantiers effectués, sans qu’il soit non plus possible d’en déduire le nombre d’heures de travail réalisées, ni que le salarié s’est bien rendu sur ces chantiers. Il relève que l’intéressé verse aux débats un décompte des heures qui auraient été réalisées et qui contredit le premier document, puisqu’il y est précisé que chaque lundi, pas seulement lorsqu’il devait effectuer des déplacements, il commençait à 4 heures et chaque soir terminait entre 19 heures et 20 heures 30, excepté le vendredi où il terminait sa journée de travail entre 15 et 16 heures, que ce document qui prend en compte les temps de route comme du temps de travail effectif n’est pas précis. Il retient enfin que plusieurs témoignages venant dire qu’il effectuait des journées de travail de 14 heures, ou travaillait « de 7 heures du matin à la tombée de la nuit », sans autres précisions, ainsi que des notes d’hôtel, dont il ne peut rien être déduit de particulier en termes de temps de travail.
- Il en déduit que les éléments produits par le salarié ne sont pas de nature à étayer ses prétentions.
- En statuant ainsi, alors qu’il ressortait de ses propres constatations que le salarié avait présenté à l’appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétendait avoir accomplies au-delà du forfait en heures afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
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PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)
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