La jurisprudence a construit définitivement, à la fin des années 1990, le régime prétorien de ce bloc normatif original en Droit du travail, qui s’impose à l’employeur à partir d’une pratique réitérée créant un avantage salarial catégoriel. Cette norme informelle est diverse, et peut notamment résulter d’un engagement unilatéral de l’employeur.

La reconnaissance d’un usage suppose en revanche que soient établies la constance de cet avantage (répétition), sa fixité (avantage déterminé ou déterminable) et sa généralité (toute une catégorie de salariés en bénéficient). Alors cette norme dépasse la relation individuelle de travail, et doit être appliquée par l’employeur à l’ensemble de la catégorie salariale concernée.

Le contentieux peut surgir dès lors qu’un salarié prétend bénéficier d’un usage, dont son employeur conteste l’existence, ou le champ d’application. Dans le cas illustré par l’arrêt ci-dessous reproduit, ce contentieux était fondé sur le principe d’égalité de traitement : le salarié entendait bénéficier d’une gratification annuelle qui avait été spontannément accordée à certains salariés de l’entreprise travaillant sur un site différent.

Des collègues de l’intéressée, travaillant sur le même site, avaient obtenu du Conseil de prud’hommes le versement de cette prime ; l’employeur avait formé systématiquement des recours à l’encontre de ces décisions. Or le Juge avait accordée à l’intéressée ladite gratification, au motif qu’un usage l’imposait en raison de ces multiples versements sans que l’employeur ne justifie d’un motif légitime de traitement différencié.

La Cour de cassation désavoue cette appréciation. En effet puisque les décisions judiciaires étaient contestées systématiquement par l’employeur, aucun engagement unilatéral ne pouvait être reconnu quant au versement de la gratification annuelle : le Juge devait rechercher ailleurs, le cas échéant, le fondement de l’existence d’un usage en la matière.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 26 octobre 2022 (RG n° 21-10.796, publié au Bulletin)

La société Elior services propreté et santé, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° U 21-10.796 contre l’arrêt rendu le 20 novembre 2020 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre 4-3), dans le litige l’opposant :

1°/ à Mme [R] [P] épouse [N], domiciliée [Adresse 1],

2°/ au syndicat CGT des entreprises de propreté des Bouches-du-Rhône, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 novembre 2020), le contrat de travail de Mme [P], épouse [N], employée en qualité d’agent de service a été repris, le 1er novembre 2005, par la société Hôpital services aux droits de laquelle se trouve la société Elior services propreté et santé (la société ESPS) depuis le 1er avril 2012.

2. Le 15 juin 2018, sur le fondement de l’atteinte au principe d’égalité de traitement, la salariée a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes relatives à l’exécution de son contrat de travail, notamment d’une demande en paiement d’un rappel de prime de treizième mois.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

3. L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à la salariée une certaine somme à titre de rappel de prime de treizième mois, alors « que constitue un engagement unilatéral de l’employeur l’expression de la volonté libre et non équivoque de ce dernier de consentir un avantage à ses salariés ; que pour juger que le versement de la prime de treizième mois aux salariés [C] et autres devait  »être analysé comme un avantage alloué unilatéralement et discrétionnairement à certains employés affectés sur le site de la polyclinique de [Localité 4] », la cour d’appel s’est bornée à affirmer que  »cette prime de treizième mois a été attribuée non seulement en novembre 2012 (…), mais aussi en novembre 2013 (…), novembre 2014 (…), novembre 2018 (…), et ce, alors même qu’aucune décision de justice ne l’imposait à l’employeur » ; qu’en statuant ainsi, sans cependant rechercher, ainsi qu’elle y était expressément invitée, si la remise en cause systématique par la société ESPS, via l’appel et le pourvoi en cassation, de l’ensemble des décisions judiciaires l’ayant condamnée à verser la prime de treizième mois aux salariés du site de [Localité 4] n’était pas de nature à exclure toute volonté libre et non équivoque de sa part d’accorder à ces derniers la prime litigieuse, la cour d’appel a entaché sa décision d’un défaut de base légale au regard des articles L. 1221-1 du code du travail, et 1103 et 1104 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1221-1 du code du travail et 1103 et 1104 du code civil, ces derniers dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

4. Pour faire droit à la demande de la salariée en paiement d’un rappel de prime de treizième mois, l’arrêt retient d’abord qu’il résulte des bulletins de paie produits que cette prime a été attribuée non seulement en novembre 2012 (Mme [C]), mais aussi en novembre 2013 (Mmes [C], [J], [S], [D], M. [L]), novembre 2014 (Mme [C]), novembre 2018 (Mme [J]) et ce, alors même qu’aucune décision de justice ne l’imposait à l’employeur, le jugement du conseil de prud’hommes ayant accordé à ces salariés un rappel de prime de treizième mois ayant été prononcé seulement le 5 janvier 2015 et le jugement du conseil de prud’hommes du 2 avril 2012 ayant été rendu à l’égard de trente-cinq salariés autres que ceux auxquels l’intimée se compare, que la réitération du versement de la prime entre 2012 et 2014 contredit la thèse de l’erreur avancée par l’employeur.

5. L’arrêt retient encore que, l’employeur ne démontrant pas avoir commis une erreur, le versement de la prime de treizième mois effectué entre 2012 et 2018 au profit de quelques salariés de l’entreprise doit en conséquence être analysé comme un avantage alloué unilatéralement et discrétionnairement à certains employés affectés sur le site de la polyclinique de [Localité 4], sans que l’employeur soit en mesure d’invoquer des raisons objectives et pertinentes justifiant la différence de traitement que ce versement a occasionnée entre les salariés exerçant sur le site de la polyclinique de [Localité 4] et la salariée intimée.

6. Il retient enfin que cette dernière, dont il n’est pas contesté qu’elle se trouve dans une situation de travail de valeur égale aux salariés affectés sur le site de la polyclinique de [Localité 4] auxquels elle se compare, est donc fondée à se prévaloir de l’inégalité de traitement résultant de l’avantage alloué unilatéralement à plusieurs salariés de la polyclinique de [Localité 4] entre 2012 et 2018, sans être justifiée par l’employeur autrement que par une erreur non retenue par la cour, la circonstance que lesdits salariés auraient ensuite perçu ce même avantage pour d’autres motifs qui le justifieraient, ne saurait priver la salariée du droit à percevoir l’élément de rémunération qui lui est dû en application de l’égalité de traitement dès son embauche, l’attribution de la prime à celui qui en a été privé, en raison d’une rupture d’égalité injustifiée étant définitive.

7. En se déterminant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que, par jugements du 5 janvier 2015, le conseil de prud’hommes avait fait droit aux demandes en paiement de rappels de primes de treizième mois formées par plusieurs salariés de la polyclinique de [Localité 4] auxquels la salariée se comparait, et que trente-cinq autres salariés avaient obtenu gain de cause par jugements du conseil de prud’hommes du 2 avril 2012 et sans rechercher, ainsi qu’il le lui était demandé, si l’attitude de l’employeur consistant à défendre au fond contre toutes les demandes en rappels de prime de treizième mois formées contre lui et à remettre en cause l’ensemble des décisions judiciaires l’ayant condamné à verser une prime de treizième mois à certains salariés de la polyclinique de [Localité 4] ne suffisait pas à exclure tout engagement unilatéral de sa part de la leur attribuer, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE (…)