Le système d’aide juridictionnelle en France permet à la Nation de respecter ses engagements en terme d’accès au Droit, et au Justiciable de procéder sans se soucier des conséquences pécuniaires de son action judiciaire. Ainsi le Code de procédure civile prévoit impérativement que le dépôt d’une demande d’aide juridictionnelle suspend les délais de recours : quelle que soit la décision du Bureau d’aide juridicitionelle (compétent territorialement ou pas…), le délai est interrompu et ne repart qu’à compter de ladite décision.
Mais il s’agit bien du délai de recours initial, ou encore des seuls délais expressément visés par les textes (par exemple, le délai de signification des conclusions de l’intimé). L’arrêt ici éclairé, et qui bénéficie de la publication au Bulletin, rappelle que d’autres délais ne sont pas interrompus.
Autrement dit le dépôt d’une demande d’aide juridictionelle n’est pas le talisman permettant d’échapper aux rigueurs des délais processuels… Ainsi en est-il par exemple en l’espèce, du délai de 10 jours imposé à l’appelant (une fois le recours formé sans encore qu’un dossier d’aide juridictionnelle n’ait été déposé…) pour faire signifier la déclaration d’appel après réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai adressé par le Greffe de la Cour.
Cour de cassation, 2ème chambre civile, 4 juin 2020 (pourvoi n° 19-24598, Publié au bulletin)
(…)
Mme S… Q…, épouse L…, domiciliée […] , a formé le pourvoi n° E 19-24.598 contre l’arrêt rendu le 19 septembre 2019 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre 2-3), dans le litige l’opposant au procureur général près la cour d’appel d’Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général, Palais Montclar, rue Peyresc, 13100 Aix-en-Provence, défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lemoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme Q…, et l’avis de M. Girard, avocat général, après débats en l’audience publique du 11 mars 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Lemoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 septembre 2019), Mme Q… a relevé appel, le 29 novembre 2018, du jugement d’un tribunal de grande, puis sollicité, le 17 janvier 2019, le bénéfice de l’aide juridictionnelle, qui lui a été accordée le 13 février 2019.
2. Elle a déféré à la cour d’appel l’ordonnance du conseiller de la mise en état ayant prononcé la caducité de sa déclaration d’appel en application de l’article 905-1 du code de procédure civile, à défaut d’avoir signifié la déclaration d’appel dans les dix jours de la réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai qui lui a été adressé par le greffe le 9 janvier 2019.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Mme Q… fait grief à l’arrêt de prononcer la caducité de la déclaration d’appel qu’elle a formée alors :
« 1°/ que le dépôt d’une demande d’aide juridictionnelle interrompt tous les délais de procédure ; qu’en retenant, pour prononcer la caducité de la déclaration d’appel formée par Mme Q…, que le dépôt de sa demande d’aide juridictionnelle était sans effet sur le délai de dix jours imparti pour signifier la déclaration d’appel, prévu à l’article 905-1 du code de procédure civile, la cour d’appel a violé l’article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1999 relative à l’aide juridique ;
2°/ que les justiciables doivent disposer d’un droit d’accès au tribunal concret et effectif ; qu’en retenant, pour prononcer la caducité de la déclaration d’appel formée par Mme Q…, que le délai prévu à l’article 905-1 du code de procédure civile, qui impose la signification de la déclaration d’appel à l’intimé dans un délai de dix jours à compter de l’avis de fixation, n’était pas valablement interrompu par sa demande formée dans ce délai auprès du bureau d’aide juridictionnelle, qui lui avait accordé l’aide juridictionnelle totale au regard de ses revenus, privant ainsi Mme Q… de la possibilité d’exercer effectivement son recours, la cour d’appel a porté une atteinte disproportionnée son droit d’accès au juge en violation des dispositions de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. »
Réponse de la Cour
4. Il résulte de l’article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, qui a rétabli, pour partie, le dispositif prévu par l’article 38-1 du décret du 19 décembre 1991 abrogé par le décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016, que le point de départ d’un délai de recours est reporté, au profit de celui qui demande le bénéfice de l’aide juridictionnelle avant l’expiration de ce délai, au jour de la notification de la décision statuant définitivement sur cette demande ou, en cas d’admission, à la date, si elle est plus tardive, du jour de la désignation d’un auxiliaire de justice en vue d’assister ou de représenter le bénéficiaire de cette aide pour l’exercice de ce recours. Le point de départ des délais impartis pour conclure ou former appel incident est reporté de manière identique au profit des parties à une instance d’appel sollicitant le bénéfice de l’aide juridictionnelle au cours des délais mentionnés aux articles 905-2, 909 et 910 du code de procédure civile.
5. Ces règles, qui ne prévoient pas, au profit de l’appelant, un report du point de départ du délai pour signifier la déclaration d’appel, en application de l’article 905-1 du code de procédure civile, poursuivent néanmoins un but légitime au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en l’occurrence la célérité de la procédure et une bonne administration de la justice. Elles sont, en outre, accessibles et prévisibles, et ne portent par une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge d’appel, un rapport raisonnable de proportionnalité existant entre les moyens employés et le but visé.
6. En effet, en se conformant à l’article 38 du décret, la partie qui entend former un appel avec le bénéfice de l’aide juridictionnelle est mise en mesure, de manière effective, par la désignation d’un avocat et d’autres auxiliaires de justice, d’accomplir l’ensemble des actes de la procédure.
7. Ce dispositif, dénué d’ambiguïté pour un avocat, professionnel du droit, permet de garantir un accès effectif au juge d’appel au profit de toute personne dont la situation pécuniaire la rend éligible au bénéfice d’une aide juridictionnelle au jour où elle entend former un appel.
8. La cour d’appel ayant constaté que Mme Q… n’avait pas procédé à la signification de la déclaration d’appel dans le délai de dix jours à compter de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai, réceptionné par son avocat le 9 janvier 2019, c’est dès lors sans encourir les griefs du moyen qu’elle a prononcé la caducité de la déclaration d’appel.
9. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour : REJETTE le pourvoi (…)
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