La procédure disciplinaire, garante des droits et libertés fondamentaux du salarié lorsque l’employeur exerce son pouvoir coercitif, est d’application stricte : à défaut, la nullité de la sanction est encourue. Ainsi notamment cette sanction doit être notifiée par écrit au plus tard un mois après l’entretien préalable obligatoire (sauf avertissement).

Rien n’est prévu dans le Code du travail qui permette d’interrompre ou de suspendre ce délai de prescription d’un mois. Contrairement d’ailleurs au délai de prescription de deux mois, prévu par la Loi entre la faute et la convocation à l’entretien préalable : si des poursuites pénales sont engagées à l’encontre du salarié, pour les faits reprochés par l’employeur, ce délai de deux mois est interrompu, et repris à l’issue de la décision judiciaire.

Mais la jurisprudence a créé une possibilité d’interruption du délai d’un mois : en effet si l’employeur est contraint, en raison de dispositions statutaires ou conventionnelles, de consulter une instance disciplinaire, alors d’une part cette consultation doit être déclenchée dans le délai d’un mois à compter de l’entretien, ce qui entraîne son interruption, et d’autre part la sanction doit être notifiée dans le mois suivant la décision de cette instance ou le refus du salarié de s’y soumettre. C’est ce que prévoit l’arrêt de la Cour de cassation reproduit ci-dessous par extraits.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 2 mai 2024 (pourvoi n° 22-19.430, publié au Bulletin)

I. La société Air France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 22-18.450

II. Mme [U] [K], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 22-19.430,

(…)

Faits et procédure

2. Selon l’arrêt attaqué (Basse-Terre, 2 mai 2022), rectifié par arrêt du 20 mars 2023, Mme [K] a été engagée en qualité d’agent des services commerciaux, à compter du 13 janvier 1989, par la société Air France.

3. Par lettre du 31 octobre 2017, elle a été convoquée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire du second degré pouvant aller jusqu’au licenciement disciplinaire pour faute grave, fixé le 29 novembre suivant.

4. Par lette du 16 décembre 2016, la salariée a été informée de la saisine du conseil de discipline et convoquée devant cette instance le 12 janvier 2017. Par lettre du 28 décembre 2016, l’intéressée a exprimé son opposition à la tenue du conseil de discipline.

5. Licenciée pour faute grave par lettre du 4 janvier 2017, elle a saisi la juridiction prud’homale de demandes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail.
(…)

Enoncé du moyen

7. L’employeur fait grief à l’arrêt de qualifier la rupture du contrat de travail de la salariée de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et, en conséquence, de le condamner à lui verser une indemnité de préavis, outre les congés payés afférents, une indemnité conventionnelle de licenciement et une indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, alors « subsidiairement, que le délai d’un mois prévu par l’article L. 1332-2 du code du travail se trouve interrompu et suspendu lorsque l’employeur doit
consulter un conseil de discipline ; que l’article 3.1.2. de la convention du personnel au sol de la compagnie Air France, intitulé « licenciement disciplinaire », dispose que « la décision de la sanction est prise, sur délégation du directeur général, par le chef d’établissement ou son représentant, le cas échéant, après avis du conseil de discipline » ; que l’annexe « personnel au sol » du règlement intérieur de l’entreprise Air France prévoit également que « le Directeur Général peut de sa propre initiative demander au Chef d’établissement la comparution d’un salarié devant un conseil de discipline, sauf opposition du salarié » (article 6) et que « la décision prise par le Chef d’établissement ou son représentant est notifiée au salarié concerné par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise en mains propres dans le délai d’un mois maximum suivant la réunion du conseil de discipline » (article 7) ; qu’il s’ensuit que la notification d’un licenciement disciplinaire est régulière lorsqu’elle est intervenue avant l’expiration d’un délai d’un mois à compter de l’expression par le salarié de son opposition à la réunion du conseil de discipline ; qu’en statuant comme elle l’a fait, cependant qu’elle constatait que « Mme [K] a reçu le 16 décembre 2016 une convocation à comparaître devant le conseil de discipline, ce qu ‘elle a refusé par courrier du 28 décembre 2016 », ce dont il résulte que la notification du licenciement était – compte tenu de la renonciation de la salariée au bénéfice de la garantie instituée à son profit par courrier du 28 décembre 2016 – intervenue régulièrement par lettre du 4 janvier 2017, la cour d’appel a violé les articles L. 1234-1, 1234-5, L. 1234-9 et L. 1332-2 du code du travail, ensemble l’article 3.1.2. de la convention du personnel au sol de la compagnie Air France et les articles 6 et 7 de l’annexe « personnel au sol » du règlement intérieur de l’entreprise Air France ; »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 1332-2 du code du travail et les articles 6 et 7 de l’annexe « personnel au sol » du règlement intérieur de la société Air France :

8. D’abord, si selon le premier de ces textes, la sanction disciplinaire ne peut intervenir plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien préalable, ce dernier délai peut être dépassé lorsque l’employeur est conduit en vertu des règles statutaires ou conventionnelles à recueillir l’avis d’un organisme de discipline dès lors qu’avant l’expiration de ce délai, le salarié a été informé de la décision de l’employeur de saisir cet organisme. Il en résulte qu’après avis du conseil de discipline ou renonciation du salarié au bénéfice de la garantie instituée à son profit, l’employeur dispose d’un nouveau délai d’un mois pour sanctionner le salarié.

9. Ensuite, selon les derniers de ces textes, d’une part, le conseil de discipline est chargé d’examiner les propositions de sanctions du second degré comprenant le licenciement pour faute grave, d’autre part, le salarié à l’encontre duquel est engagé une procédure disciplinaire peut demander que le conseil ne soit pas réuni et, en tout état de cause, le directeur général peut de sa propre initiative demander au chef d’établissement la comparution devant le conseil du salarié, sauf opposition de ce dernier. La décision de sanction est notifiée au salarié dans le délai d’un mois maximum suivant la réunion du conseil de discipline. Il en résulte que la saisine du conseil de discipline a pour effet d’interrompre le délai de l’article L. 1332-2 du code du travail et de le suspendre pendant toute sa durée et que ce n’est qu’à compter de la réunion du conseil de discipline ou de la renonciation du salarié au bénéfice de la garantie instituée à son profit que celui-ci recommence à courir.

10. Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient, d’abord, que l’entretien préalable était fixé au 29 novembre 2016 et que la salariée ayant renoncé à la réunion d’un conseil de discipline, le licenciement devait intervenir avant le 30 décembre 2016. Il relève, ensuite, que son licenciement lui a été notifié le 4 janvier 2017.

11. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que la salariée avait reçu le 16 décembre 2016 une convocation à comparaître devant le conseil de discipline, soit avant l’expiration du délai d’un mois à compter de la date de l’entretien préalable, puis que par lettre du 28 décembre 2016, elle avait exprimé son opposition à la tenue du conseil de discipline, ce dont il résultait que le licenciement avait été notifié dans le mois de cette renonciation, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

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PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)