L’on sait combien la jurisprudence sociale est protectrice de la vie privée du salarié, dans l’usage que peut faire l’employeur d’informations personnelles à son encontre. Ainsi dernièrement, la Cour de cassation a-t-elle décidé que le message marqué comme personnel, même envoyé depuis sa messagerie professionnelle, ne pouvait être dévoilé par la hiérarchie du salarié, et notamment utilisé contre lui à des fins disciplinaires.

C’est donc une solution spectaculaire que livre la Cour de cassation dans l’arrêt du 30 septembre 2020, dont sont reproduits ici les extraits publiés. Un salarié a en effet été sanctionné en raison de la violation de son obligation de loyauté, parce qu’il avait transmis aux concurrents de l’entreprise employeur, les détails de la nouvelle production.

Or la preuve de cette insubordination a été produite à partir de la publication privée sur les réseaux sociaux, que faisait l’intéressé. Le Juge retient effectivement qu’il s’agit d’une atteinte au droit fondamental au respect de la vie privée du salarié : mais cette atteinte (limitée à la publication litigieuse, révélée sans intrusion de l’employeur, et confirmée par constat d’Huissier de Justice) était, en fonction des circonstances de fait, justifiée par un objectif légitime et proportionnée au but recherché.

L’atteinte aux droits et libertés fondamentaux du travailleur ne peut donc pas être ici considérée comme abusive. Et l’utilisation des informations ainsi recueillies à des fins disciplinaires n’est pas prohibée, tout comme sur un plan processuel, la preuve de la faute.


Cour de cassation, Chambre sociale, 30 septembre 2020 (pourvoi n° 19-12.058, publié au bulletin)

Faits et procédure :

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 12 décembre 2018), Mme X… a été engagée à compter du 1er juillet 2010 en qualité de chef de projet export par la société Petit Bateau. Par lettre du 15 mai 2014, elle a été licenciée pour faute grave, notamment pour avoir manqué à son obligation contractuelle de confidentialité en publiant le 22 avril 2014 sur son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection printemps/été 2015 présentée exclusivement aux commerciaux de la société.

2. Contestant son licenciement, la salariée a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes.

[…]

Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l’arrêt de dire le licenciement fondé sur une faute grave et de la débouter de ses demandes au titre de la rupture du contrat, alors :

« 1°/ que l’employeur ne peut accéder aux informations extraites d’un compte Facebook de l’un de ses salariés sans y avoir été autorisé ; qu’il s’ensuit que la preuve des faits invoqués contre un salarié dans une procédure disciplinaire issue de publications figurant sur son compte Facebook privé, rapportée par l’intermédiaire d’un autre salarié de l’entreprise autorisé à y accéder, est irrecevable ; que dans ses conclusions d’appel, la salariée soutenait que la preuve des faits reprochés n’était pas opposable, ces derniers se rapportant à un compte Facebook privé, non accessible à tout public mais uniquement aux personnes que cette dernière avait accepté de voir rejoindre son réseau ; qu’en se bornant à retenir que l’employeur n’avait commis aucun fait illicite ou procédé déloyal d’atteinte à la vie privée, ayant été informé de la diffusion de la photographie litigieuse sur le compte Facebook de la salariée par un des « amis » de la salariée travaillant au sein de la société, sans s’expliquer sur le caractère inopposable, et donc irrecevable, de la preuve invoquée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 9 et 1353 du code civil, ensemble l’article 9 du code de procédure civile ;

2°/ que l’employeur ne peut porter une atteinte disproportionnée et déloyale au droit au respect de la vie privée du salarié ; qu’il s’ensuit qu’il ne peut s’immiscer abusivement dans les publications du salarié sur les réseaux sociaux ; qu’en décidant que l’employeur n’avait commis aucun fait illicite ou procédé déloyal d’atteinte à la vie privée quand elle se référait, pour justifier la faute grave, à l’identité et aux activités professionnelles des amis de la salariée sur le réseau Facebook, telles que rapportées par l’employeur et dont il considérait qu’ils travaillaient chez des concurrents, la cour d’appel a violé l’article 9 du code civil.  »

Réponse de la Cour

5. D’abord, si en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve, la cour d’appel, qui a constaté que la publication litigieuse avait été spontanément communiquée à l’employeur par un courriel d’une autre salariée de l’entreprise autorisée à accéder comme « amie » sur le compte privé Facebook de Mme X…, a pu en déduire que ce procédé d’obtention de preuve n’était pas déloyal.

6. Ensuite, il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

7. La production en justice par l’employeur d’une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, auquel il n’était pas autorisé à accéder, et d’éléments d’identification des « amis » professionnels de la mode destinataires de cette publication, constituait une atteinte à la vie privée de la salariée.

8. Cependant, la cour d’appel a constaté que, pour établir un grief de divulgation par la salariée d’une information confidentielle de l’entreprise auprès de professionnels susceptibles de travailler pour des entreprises concurrentes, l’employeur s’était borné à produire la photographie de la future collection de la société publiée par l’intéressée sur son compte Facebook et le profil professionnel de certains de ses « amis » travaillant dans le même secteur d’activité et qu’il n’avait fait procéder à un constat d’huissier que pour contrecarrer la contestation de la salariée quant à l’identité du titulaire du compte.

9. En l’état de ces constatations, la cour d’appel a fait ressortir que cette production d’éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires.

10. Le moyen n’est donc pas fondé.

[…]

PAR CES MOTIFS, la Cour : REJETTE (…)