Les articles L.1154-1 et suivants du Code du travail organisent un régime probatoire exceptionnel au profit des salariés s’estimant victime de harcèlement : le salarié doit rassembler simplement un ensemble de faits établissant l’apparence d’un harcèlement moral ou sexuel, et l’employeur doit alors démontrer objectivement et de façon matériellement vérifiable l’absence de tout abus. Le doute bénéficiant au salarié, l’employeur est condamné même s’il subsiste une incertitude quant à la nature des faits établis par la victime.

Cette quasi-inversion de la charge de la preuve est redoutable pour le chef d’entreprise ou le manager. Elle peut encore aujourd’hui troubler certains juges prud’homaux, au point que la Cour de cassation est régulièrement amenée à rappeler cette règle, à l’occasion d’illustrations diverses.

Dans l’arrêt ici éclairé, le supérieur de la salariée se disant victime de harcèlement sexuel avait été sanctionné pour « comportement inapproprié », sans que le harcèlement ne soit expressément reconnu par la hiérarchie. Or dans ce cas, c’était bien à l’employeur de démontrer activement que ce comportement ne pouvait être qualifié selon la définition légale du harcèlement sexuel : s’il n’y parvient pas, cette qualification doit être retenue même en cas de doute.

Cour de cassation, chambre sociale, 8 juillet 2020 (pourvoi n°18-23.410, publié au Bulletin)

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Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Caen, 2 août 2018), Mme I… et M. P… ont été engagés, pour la première, le 3 janvier 2012 par la société Alutil en qualité d’opératrice de saisie-accueil et, pour le second, le 1er avril 2008 par la société B’Plast en qualité d’ouvrier de production, puis suivant avenant du 1er juillet 2013 conclu avec la société Alutil venant aux droits de la société B’Plast, en qualité de chef d’atelier. Les salariés ont été licenciés pour faute grave par lettres du 14 mars 2014.

2. Soutenant, pour Mme I…, qu’elle avait été victime de harcèlement sexuel et, pour M. P…, qu’il avait été licencié pour avoir relaté le harcèlement subi par Mme I…, les salariés ont saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes.

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4. Les salariés font grief à l’arrêt de dire que Mme I… n’a pas subi de harcèlement sexuel et de la débouter de ses demandes au titre de la nullité du licenciement et des indemnités afférentes ainsi qu’à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, alors « qu’aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que l’exposante avait fait état de ce que M. X… avait lors de l’entretien préalable reconnu l’avoir séduite et de la sanction disciplinaire notifiée à celui-ci pour comportement inapproprié ; qu’en se refusant à examiner ces éléments de fait, comme elle y était pourtant invitée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail ».

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail :

5. Il résulte de ces textes que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement sexuel, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

6. Pour dire que la salariée n’a pas subi de harcèlement sexuel et la débouter de ses demandes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel et au titre de la nullité du licenciement et des indemnités afférentes, l’arrêt retient que les éléments présentés par l’intéressée, considérés dans leur ensemble, s’ils constituent un comportement inadapté sur le lieu de travail, ne laissent pas présumer l’existence d’un harcèlement sexuel.

7. En se déterminant ainsi, alors que la salariée soutenait que son supérieur hiérarchique avait reconnu avoir été entreprenant à son égard et que l’employeur avait sanctionné ce dernier par un avertissement pour comportement inapproprié vis à vis de sa subordonnée, la cour d’appel, qui n’a pas pris en considération tous les éléments présentés par la salariée, n’a pas donné de base légale à sa décision. Et sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche, en ce qu’il fait grief à l’arrêt de débouter M. P… de ses demandes de rappel de salaire durant la mise à pied, d’indemnité de préavis, d’indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de ces chefs de demande, alors : « qu’il appartient au juge de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre de licenciement, la véritable cause du licenciement ; que méconnaît l’étendue de ses pouvoirs le juge qui s’abstient d’examiner l’argumentation du salarié, selon laquelle le motif véritable du licenciement est autre que ceux invoqués dans la lettre de licenciement ; qu’en omettant de rechercher, comme l’exposant le soutenait, si le licenciement ne constituait pas en réalité une mesure de représailles émanant de M. X…, en réaction au refus opposé par Mme I… à ses avances et au soutien apporté par M. P… à la salariée, la cour d’appel a violé l’article L. 1232-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 455 du code de procédure civile :

9. En application de ce texte tout jugement doit être motivé.

10. Pour dire le licenciement du salarié fondé sur une faute grave, l’arrêt retient qu’il n’est pas contesté que Mme I… a demandé à M. P… de lui confectionner deux garde-corps à l’aide de matériaux appartenant à l’entreprise, qu’il ressort des attestations produites que les salariés désireux de faire usage personnel des rebuts de l’entreprise sollicitaient l’autorisation de leur supérieur hiérarchique, que M. P… n’établit pas avoir sollicité ni obtenu oralement du supérieur hiérarchique de Mme I… une telle autorisation, que l’attitude du salarié ayant subtilisé le matériel de l’entreprise ne permettait pas le maintien de son contrat de travail.

11. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du salarié qui soutenait que son licenciement constituait une mesure de représailles prononcé en réaction au refus opposé par Mme I… aux avances de son supérieur hiérarchique et au soutien apporté par M. P… à l’intéressée, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE