Même si le Conseil de prud’hommes est lié par les motifs mentionnés par l’employeur dans la lettre de licenciement, il dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation des faits ainsi présentés, et peut le cas échéant les requalifier. Cela lui permet par exemple de retenir l’insuffisance professionnelle d’un salarié auquel est reproché plusieurs échecs techniques, incompatibles avec le niveau attendu sur le poste de travail.

Toutefois le Juge ne peut s’immiscer dans l’exercice par l’employeur du pouvoir de direction, et notamment de sa composante disciplinaire. Ainsi seul l’employeur peut en principe qualifier l’insubordination.

Pourtant la Cour de cassation a étendu les prérogatives des juges du fond en la matière, afin d’accroître la protection du salarié. Ainsi dans l’hypothèse où le salarié est expressément licencié pour faute disciplinaire, sans toutefois que la faute grave (qui empêche immédiatement le maintien du salarié sur son poste) ne puisse être retenue, le licenciement doit être disqualifié pour défaut de motif sérieux : le Juge apprécie en effet la proportionnalité de la sanction.

Mais si l’employeur prononce un licenciement pour des faits qui peuvent être qualifiés d’insubordination (le salarié a manqué à son obligation de soumission à l’autorité hiérarchique), alors il s’agit d’un licenciement disciplinaire. L’employeur doit par conséquent (ou aurait dû…) respecter les protections légales spécifiquement prévues dans cette configuration (par exemple les délais de prescription).

Peu importe que l’employeur n’ait pas délibérément décidé de mettre en oeuvre une procédure disciplinaire, ou que la lettre de licenciement ne précise pas qu’il s’agit d’un licenciement-sanction. Le Juge pourra requalifier les faits … pour disqualifier la rupture, comme le rappelle la Chambre sociale dans l’arrêt ci-dessous reproduit.

COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, 12 JUILLET 2022 (pourvoi n° 20-22.799, inédit)

M. [P] [T], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 20-22.799 contre l’arrêt rendu le 20 août 2020 par la cour d’appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige l’opposant à la société Vineo conseils, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

(…)

Faits et procédure

  1. Selon l’arrêt attaqué (Dijon, 20 août 2020), M. [T] a été engagé le 15 février 1985 en qualité d’agent commercial spécialisé par M. [D]. Son contrat de travail a été repris par la société Vinéo conseils. Le 1er février 2017, son employeur lui a demandé de signer un engagement de confidentialité, ce qu’il a refusé le 27 février 2017.
  2. Convoqué le 15 mars 2017 à un entretien préalable fixé au 27 mars 2017 puis licencié le 2 mai 2017, le salarié a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

  1. Le salarié fait grief à l’arrêt de confirmer le jugement en ce qu’il dit que la rupture de son contrat de travail repose sur un licenciement pour cause réelle et sérieuse et le déboute de sa demande de dommages-intérêts subséquente, alors « que la lettre de licenciement pour motif disciplinaire doit être notifiée au salarié dans le délai d’un mois à partir de la date de l’entretien préalable ; qu’à défaut le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que le refus opposé par le salarié de signer un engagement de confidentialité exigé pour le bon accomplissement de sa mission constitue un manquement aux obligations découlant du contrat de travail relevant de la procédure disciplinaire ; que la cour d’appel a retenu que l’engagement résultait d’obligations légales, de sorte que le refus était injustifié, constant et manifeste envers l’employeur : qu’en jugeant néanmoins que le salarié avait fait l’objet d’un licenciement pour des faits non fautifs de nature à perturber le bon fonctionnement de l’entreprise et non d’un licenciement pour motif disciplinaire, quand il résultait de ses propres constatations que le licenciement, qui procédait d’une inexécution des obligations découlant du contrat de travail, était de nature disciplinaire, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et, partant, a violé les articles L. 1232-1, L. 1235-1, L. 1331-1, L. 1332-1 et L. 1332-2- du code du travail dans leur version applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1235-1, L. 1331-1 et L. 1332-2 du code du travail :

  1. Si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l’encontre du salarié et les conséquences que l’employeur entend en tirer quant aux modalités de la rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.
  2. Pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouter le salarié de toutes ses demandes, l’arrêt retient que la lettre de licenciement fait état de ce que le refus de l’intéressé de signer l’engagement de confidentialité qui lui avait été présenté a gravement mis en péril les activités de la société, et en conclut que le salarié a fait l’objet d’un licenciement pour des faits non fautifs de nature à perturber le bon fonctionnement de l’entreprise et non pas d’un licenciement pour motif disciplinaire.
  3. En statuant ainsi, alors que la lettre de licenciement reprochait au salarié son refus de signer l’engagement de confidentialité, lequel constitue un grief inhérent à sa personne, susceptible de constituer un manquement à une obligation découlant du contrat de travail, la cour d’appel, qui devait en déduire que le licenciement avait été prononcé pour un motif disciplinaire et vérifier si la procédure disciplinaire avait été respectée, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE