L’on sait que les collectivités territoriales peuvent recruter des agents par le biais de contrats d’insertion soumis au Code du travail ; dans cette hypothèse, les conflits individuels sont soumis au Conseil de Prud’hommes. Par ailleurs, sur le fondement des articles L.1224-1 et suivants du Code du travail, en cas de transfert d’une activité de la sphère privée au secteur public (la reprise d’une entreprise associative par une commune, par exemple), la règlementation sociale organise le transfert des salariés vers la fonction publique.

Mais l’Administration peut être soumise au Droit social privé dans d’autres cas, ainsi que l’illustre ici l’arrêt signalé de la Cour de cassation. En l’espèce une association intermédiaire, qui exerce une activité comparable à une agence d’intérim au profit d’un public en difficulté sociale, a ainsi mis un salarié à la disposition d’une communauté d’agglomérations, à l’occasion d’une succession de missions.

Les conditions légales du recours à ce type de contrat à durée déterminée n’étant visiblement pas réunies, le Juge va notamment requalifier la relation entre le salarié et l’utilisateur, en lui faisant produire les effets d’un contrat de travail à durée indéterminée. Le salarié va ainsi demander l’indemnisation de la rupture abusive du contrat, puisque les missions ont cessé.

La communauté d’agglomération, attraite à l’instance prud’homale, lui dénie sa compétence matérielle, sur le fondement du principe de séparation des pouvoirs. La Cour de cassation rejette logiquement ce moyen, puisque si le salarié ne demande que l’indemnisation de ses préjudices, les dispositions légales encadrant spécifiquement ce contrat atypique imposent la compétence du Juge judiciaire, et non de la Justice administrative.

 

Cour de cassation, Chambre sociale, 15 mai 2019 (pourvoi n° 18-15.870, publié au bulletin)


(...)

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 5132-5 et L. 5132-7 du code du travail ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. C... , engagé par l’association Chablais inter emploi (l’association intermédiaire) dans le cadre d’un contrat à durée déterminée d’insertion le 10 octobre 2005, a été mis à disposition de la communauté de communes du Bas Chablais, devenue communauté d’agglomération Thonon agglomération (la communauté d’agglomération) ; que son contrat a été renouvelé à onze reprises, jusqu’au 29 septembre 2015 ; qu’il a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée, dire en conséquence la rupture intervenue le 29 septembre 2015 abusive, et condamner in solidum l’association et la communauté d’agglomération au paiement de diverses sommes ;

Attendu que pour dire la juridiction judiciaire incompétente au profit de la juridiction administrative, la cour d’appel énonce que la requalification de contrats successifs effectués auprès d’une personne morale de droit public obéit à des règles spécifiques d’ordre public dont l’application relève de la juridiction administrative ;

Attendu cependant que lorsqu’un contrat à durée déterminée a été conclu dans le cadre des dispositions de l’article L. 5132-7 du code du travail et que le salarié a été mis à disposition d’une personne morale de droit public gérant un service public administratif par l’association intermédiaire, le juge judiciaire est seul compétent pour se prononcer sur une demande de requalification en contrat à durée indéterminée fondée sur l’occupation par le salarié d’un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice et, dès lors que la demande ne porte pas sur la poursuite d’une relation contractuelle entre le salarié et la personne morale de droit public gérant un service public administratif, pour tirer les conséquences de la requalification du contrat qu’il a prononcée ;

Qu’en statuant comme elle a fait, alors que la demande de requalification du salarié, dirigée tant contre l’association intermédiaire qu’à l’encontre de la communauté d’agglomération, ne visait qu’à des conséquences indemnitaires, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE (...)