La jurisprudence relative au traitement du salarié déclaré physiquement inapte par le médecin du travail, bâtit un régime complexe que l’employeur doit maîtriser pour éviter sur ce point le risque contentieux. Ainsi dans l’hypothèse où le médecin du travail émet des recommandations de reclassement, la notification d’une impossibilité de tout reclassement ne doit pas être réalisée trop tôt : à défaut le Juge considèrera que les recherches de reclassement n’ont pas été loyalement menées, et le licenciement sera disqualifié.

Mais les offres de reclassement ne doivent pas non plus être adressées trop tard. L’on sait en effet qu’à l’issue de la notification de l’avis d’inaptitude, l’employeur a 30 jours pour reclasser ou licencier le salarié : à défaut il doit reprendre le paiement des salaires, et ce même si le salarié perçoit des prestations sociales.

Or ce délai s’impose quelles que soient les circonstances. Ainsi dans l’arrêt ci-dessous reproduit, c’est bien le reclassement effectif sur le poste, ou la rupture effective du contrat de travail, qui met fin à l’obligation de reprendre le paiement des salaires : le fait que le salarié ait refusé l’offre de reclassement présentée dans le délai de 3 jours est inopérant.

COUR DE CASSATION, Chambre sociale, 10 janvier 2024 (pourvoi n° 21-20.229, publié au Bulletin)

M. [P] [K], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 21-20.229 contre l’arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d’appel de Rennes (7e chambre prud’homale), dans le litige l’opposant à la société S3M sécurité, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 27 mai 2021), rendu en matière de référé, le contrat de travail de M. [K], engagé en qualité d’agent de sécurité, a été transféré le 1er juillet 2016 à la société S3M sécurité. Le salarié exerçait ses fonctions sur le site de la cour d’appel de Rennes.

2. Placé en arrêt de travail à compter du 29 novembre 2019, il a été déclaré inapte à son poste le 5 février 2020, le médecin du travail ayant précisé qu’il pouvait occuper un poste similaire mais sur un autre site, sans travail de nuit.

3. Le 10 février 2020, l’employeur lui a adressé une proposition écrite de reclassement dans un emploi d’agent de sécurité à la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de [Localité 3] en journée à compter du 17 février 2020, proposition que le salarié a refusée le 12 février 2020.

4. L’employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable le 12 mars 2020, reporté au 9 juin suivant en raison de l’épidémie de Covid.

5. Le 11 mai 2020, le salarié a saisi la juridiction prud’homale, statuant en référé, d’une demande de rappel de salaire à compter du 5 mars 2020.

6. Le 16 juin 2020, le salarié a été licencié.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes de rappels de salaires et de dommages-intérêts pour non-paiement des salaires, alors « que lorsque, à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n’est pas reclassé dans l’entreprise ou s’il n’est pas licencié, l’employeur lui verse, dès l’expiration de ce délai, le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail ; que cette obligation s’impose y compris en cas de refus par le salarié d’une proposition de reclassement et quand bien même ce refus serait injustifié ; qu’en retenant dès lors, pour débouter M. [K] de sa demande de rappel de salaire, qu’il avait refusé sans motif légitime, la proposition de reclassement qui lui avait été faite conformément aux préconisations du médecin du travail, quand il résultait de ses constatations que pour la période considérée le salarié n’avait été ni reclassé, ni licencié, la cour d’appel a violé l’article L. 1226-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1226-2, L. 1226-2-1, L. 1226-4 du code du travail :

8. Selon le premier de ces textes, lorsque le salarié victime d’une maladie ou d’un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu’il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

9. Selon le deuxième, l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.

10. Selon le troisième, lorsque, à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n’est pas reclassé dans l’entreprise ou s’il n’est pas licencié, l’employeur lui verse, dès l’expiration de ce délai, le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.

11. La circonstance que l’employeur est présumé avoir respecté son obligation de reclassement en proposant au salarié déclaré inapte un emploi prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail ne le dispense pas de verser au salarié, qui a refusé cette proposition de reclassement et qui n’a pas été reclassé dans l’entreprise à l’issue du délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise ou qui n’a pas été licencié, le salaire correspondant à l’emploi qu’il occupait avant la suspension du contrat de travail.

12. Pour débouter le salarié de sa demande de provision à titre de rappel de salaire à compter du 5 mars 2020, l’arrêt retient que dès lors que l’employeur a adressé le 10 février 2020 au salarié une proposition écrite de reclassement sur un emploi d’agent de sécurité à la CPAM de [Localité 3] en journée (8h30 / 17h30) dans le strict respect des préconisations du médecin du travail émises cinq jours plus tôt lors de la visite de reprise du 5 février, il a pleinement respecté les conditions posées par l’article L. 1226-2 en vue du reclassement de l’intéressé, son obligation afférente pouvant être considérée comme « réputée satisfaite » au sens de l’article L. 1226-2-1.

13. La cour d’appel en a déduit que l’article L. 1226-4 du code du travail ne s’appliquait pas.

14. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS (…) : CASSE ET ANNULE (…)